Après son spectaculaire et mémorable solo Le Périmètre de Denver, Vimala Pons invite neuf chanteurs à la rejoindre dans Honda Romance. Et démultiplie la façon d’être humain.
Porter le poids du monde sur son dos, cela fait bien longtemps que Vimala Pons le pratique. Grande et Le Périmètre de Denver ont été des expériences un peu sidérantes en ce sens. Trouver le point d’équilibre physique, très précis, pour que ça tienne, sans pour autant mettre le public dans une situation de voyeurisme morbide. Au contraire, il s’agissait de voir ce que cette contrainte physique lui permettait – en l’occurrence de se métamorphoser dans Denver. Au début de Honda Romance, la voici écrasée au sol par un satellite qui diffuse des infos sur ses écrans usés. Déjà, elle n’est plus seule tout en l’étant quand même, car, à ses côtés, un type se contente, impassible, de faire des photos et une autre est figée dans l’effroi de la scène qu’elle regarde, mais, au fond, rien n’a changé. Vimala Pons doit se débrouiller seule pour se relever. Les témoins ne mobilisent personne. L’union est un concept inopérant ici : une parabole puissante de l’état misérable du monde. Un musicien aussi est là, à vue, donnant l’indication que le son va être une trame centrale de ces 75 minutes. Musicienne de formation, Vimala Pons retrouve des complices historiques : Tsirihaka Harrivel à la collaboration conception, mise en scène et composition musicale et Rebeka Warrior à la composition musicale du chœur. C’est précisément en parlant de Rebeka Warrior (et de Théo Mercier) sur France Culture, fin août, que l’artiste disait qu’elle ne renonçait « jamais face à l’absurde, l’écrasement, la répétition infinie ». « Ils incarnent une force de survivre, une ‘obstination antique’, qui appartient à des héros mythologiques, des gens aussi idiots que courageux […] qui arrivent à transformer les choses quotidiennes comme les deuils, à les porter, à en faire poème, en faire chant, et donc en faire consolation ». Sans doute, parlait-elle alors de Honda Romance, dont elle était alors à quelques jours de l’accouchement, car il serait difficile de mieux définir ce spectacle.
Délestée du poids physique du satellite qui crache des images de guerre, de manifestation, de lutte, de joie, comme sur un réseau social déboussolé (pléonasme), elle entame un solo d’une petite demi-heure prise entre trois canons à explosion de vent, qui servent beaucoup au cinéma pour simuler les souffles des bombes, qui la déstabilisent fortement sans la catapulter. Elle qui a tant accumulé de vêtements sur elle dans Grande et a mis toute la durée du Périmètre de Denver à s’en défaire est désormais en prise avec les vents violents et les émotions. Elle en enchaine plus d’une centaine, en jouant une sorte de cut-up de phrases ayant trait à l’amour, au chagrin, à la reconnaissance, la possession, la dépossession, la démocratie, les animaux, le pouvoir, le machisme… Exercice épatant de l’artiste à la fois dans sa capacité à compacter le monde et dans la mutation de son propre art, qui se déploie là dans ce décor blanc immaculé fait simplement de bandes de tissu alternées descendues des cintres en fond de scène, au point de créer un chemin caché vers les coulisses. Ce concentré d’émotions émane aussi d’un travail de quatre semaines au Centre d’arts contemporains 3bisF de l’hôpital psychiatrique Montperrin d’Aix-en-Provence avec des patients et des soignants. « Les IA sont partout », relève Vimala Pons dans l’interview du dossier de presse, et le satellite du début en est l’une des illustrations. Elles peuvent « mimer les émotions, les identifier, mais pas les ressentir, parce qu’elles ne peuvent pas ressentir la douleur. C’est que ça a un coût, l’émotion ». Et cela qu’elle mesure dans Honda Romance.
Essorée par ce shoot émotionnel, elle partage donc la scène devenue un vaste catwalk dans la seconde partie. Neuf autres complices arpentent le plateau dans un mouvement linéaire de va-et-vient face, puis dos au public, disparaissant en coulisses pour réapparaitre par une autre porte accoutrés différemment. Souriant, esclaffés, prostrés, las, ils et elles sont des mannequins de toutes corpulences, couleurs de peau, genres, portant les modes, les injonctions, la fatigue, l’essentiel et le futile, les diktats et leurs désirs. Et surtout, ils chantent. La voix apparait comme le lien ultime. Le chœur antique évoqué par Vimala Pons à la radio est là. Puissant, mystique presque, et porté par l’espoir de comprendre ce qu’ils et elles traversent. Depuis toujours, Vimala Pons s’intéresse au sens double des mots. À celui de « gravité », s’ajoute la double sémantique de « assurance » et « sinistre » ici prononcés. Et celui de cette Honda Romance, réconciliation de la technologie la plus froide à la douceur d’un sentiment.
Nadja Pobel – www.sceneweb.fr
Honda Romance
Écriture et interprétation Vimala Pons
Avec les chanteurs et chanteuses Sabianka Bencsik, Joseph Decange, Océane Deweirder, François Gardeil, Myriam Jarmache, Flor Paichard, Firoozeh Raeesdana, Vic Requier, Léa Trommenschlager
Composition musicale Tsirihaka Harrivel
Composition musicale du Chœur Rebeka Warrior
Collaboration artistique pour la direction, l’adaptation et l’arrangement musical Fiona Monbet et Romain Louveau / Miroirs Étendus
Recherche scénographique Benjamin Bertrand, Marion Flament, Vimala Pons
Regard scénographique Marion Flament
Régie générale Benjamin Bertrand, Marc Chevillon
Conception lumière Arnaud Pierrel
Conception sonore Anaëlle Marsollier
Conception costumes Marie La Rocca
Assistanat costumes Anne Tesson
Collaboration et coordination artistique Emeline Hervé
Construction du décor Ateliers de la Comédie de GenèveProduction TOUT ÇA / QUE ÇA ; La Comédie de Genève
Production musicale Miroirs Étendus
Coproduction MC2 : Maison de la culture de Grenoble ; Les Nuits de Fourvière – festival international de la Métropole de Lyon ; Odéon-Théâtre de l’Europe – Paris ; Festival d’Automne à Paris ; Centre dramatique national de Tours – Théâtre Olympia ; Malraux Scène nationale Chambéry Savoie ; Le Lieu Unique – Nantes ; CDN Orléans / Centre-Val de Loire ; CENTQUATRE-PARIS ; Les Halles de Schaerbeek – Bruxelles ; 3 bis f Centre d’arts contemporains arts vivants & arts visuels – Aix-en-Provence
Avec le soutien de la Fondation BNP Paribas
Soutiens à la résidence Plateforme 2 Pôles Cirque en Normandie – La Brèche à Cherbourg ; Villa Belleville – Paris ; La Ménagerie de Verre dans le cadre du dispositif StudioLab ; MC2 : Maison de la culture de Grenoble – Scène nationaleTsirihaka Harrivel et Vimala Pons sont artistes associé·es au Lieu Unique (Nantes). Vimala Pons est artiste associée du CENTQUATRE (Paris), à la MC2 : Maison de la culture de Grenoble – Scène nationale et au Centre Dramatique National de Tours – Théâtre Olympia. TOUT ÇA / QUE ÇA est conventionné par le Ministère de la Culture – DRAC Île-de-France
Durée : 1h15
Vu en septembre 2025 à La Comédie de Genève (Suisse)
Odéon-Théâtre de l’Europe, Paris
du 14 au 26 octobreThéâtre national de Bretagne, Rennes, dans le cadre du Festival du TNB
les 21 et 22 novembreCENTQUATRE-PARIS, dans le cadre du Festival Beaux Gestes
du 4 au 7 décembreLe Lieu Unique, Nantes
du 10 au 12 décembreMalraux, Scène nationale Chambéry-Savoie
les 15 et 16 janvier 2026Théâtre national de Strasbourg
du 17 au 27 marsMaison de la danse, Lyon
du 10 au 12 juin





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