Au Théâtre des Doms, la metteuse en scène Clémentine Colpin retrace la vie hors des sentiers battus d’Annette Baussart et utilise le théâtre, avec délicatesse, justesse et facétie, pour véhiculer un autre regard sur la vieillesse.
Enfant déjà, Annette n’était pas tout à fait comme les autres. « Je n’ai jamais trop compris le monde dans lequel je vivais, explique-t-elle. C’est comme si j’étais dans un labyrinthe mouvant où il y avait du brouillard et il faisait souvent très nuit. Je me cognais tout le temps, partout, à tout. Il n’y avait rien de stable, même les adultes. » Cette femme, Clémentine Colpin l’a rencontrée alors qu’elle avait dépassé la barre des 70 printemps. Immédiatement captivée par son récit de vie, de ceux qui méritent d’être transformés en spectacle, l’autrice et metteuse en scène belge s’est lancée dans une série d’entretiens avec elle pour en apprendre toujours plus, pour creuser toujours plus profondément dans une existence qui, constamment, l’a placée hors des sentiers battus. Car Annette Baussart, c’est son nom, n’a eu de cesse de vouloir échapper aux cadres auxquels la société voulait l’assigner. Dans son enfance, elle avait des difficultés à se conformer aux règles strictes imposées par les Soeurs qui l’entouraient ; d’abord employée dans une banque, elle n’a pas tardé à donner sa démission ; mariée au gentil Peter, elle s’est vite lassée de cette vie bien rangée, jumelle de celle de Jeanne Dielman ; bientôt mère de deux enfants, alors qu’elle ne sentait pas vraiment prête, mais que les injonctions sociales l’y poussaient, elle a dû composer avec un post-partum carabiné qui rendait difficile tout contact physique avec eux ; redevenue célibataire, elle n’a pas hésité à emboîter le pas de Claude, « la tigresse du barreau », et à publier une annonce dans les colonnes du Vlan pour trouver une « une relation suivie, tendre et fougueuse » ; et ainsi de suite. Façon, pour elle, d’explorer encore et toujours de nouveaux territoires, d’apprendre à mieux se connaître, de se réaliser, jusqu’à ce qu’elle rencontre une nouvelle communauté, puis Joëlle, « et c’est comme ça qu’à 54 ans, je sais dire le lieu, comme Claudel derrière quel pilier à l’église, j’ai eu la révélation, je me suis dit : aaah ! Maintenant la vie peut commencer. Maintenant, je peux me marier et avoir des enfants », confie-t-elle dans un demi-sourire.
Cette trajectoire par monts, par vaux, et autres chemins de traverse, Clémentine Colpin ne choisit pas de la partager, et c’est heureux, de façon classique. Suivant la ligne de vie d’Annette, elle préfère procéder par une succession d’impressions, de tableaux, de morceaux choisis, qui lui permettent de parcourir tout le spectre de l’existence, des cheveux à la ménopause, en passant, pêle-mêle, par l’allaitement, la solitude choisie ou subie, mais aussi des fragments d’oeuvres marquantes, de Singin’ in the rain aux Tomates de Jack Ary. Surtout, Annette Baussart, l’astre star du plateau, autour duquel l’ensemble des autres interprètes gravitent, n’est pas seule pour porter ce récit. Parfois pris en charge par sa propre voix off, qui émane des enregistrements réalisés par Clémentine Colpin, il l’est tout autant par ses camarades de jeu qui, à intervalles réguliers, se payent le luxe de l’incarner, en même temps que les situations de vie qu’elle décrit. Dès lors, la metteuse en scène fait d’elle un personnage de théâtre à part entière, et transforme la scène en un espace mental croisé avec un cabaret, d’où peuvent jaillir tous les lieux, tous les compagnons de route et toutes les excentricités qui ont jalonné la vie d’Annette. Tout en esquissant un propos politique et féministe qui ne cherche jamais à prendre le dessus, mais s’impose simplement par la célébration d’une femme aussi libre de ses pensées, faits et gestes, le spectacle joue aussi avec les affres de la mémoire, qui retrouve, perd, et parfois enjolive, avec ces souvenirs qu’il faut tenter de convoquer, et parfois de réactiver, avec ces fils – à l’image de ceux des rideaux qui composent l’élégant décor – qu’il faut retisser pour mieux en dénouer les nombreux noeuds.
Fondé sur une parole naturellement libérée, car provenant d’un esprit intrinsèquement libre, Annette se plait aussi à cultiver un humour souvent ravageur et une certaine forme de pudeur, résultat du regard tendre que Clémentine Colpin – présente dans le public, micro en main, pour poser quelques questions complémentaires à celle qui se raconte – porte sur celle qui est devenue son sujet, et sa protégée, et de la délicatesse avec laquelle elle s’empare des fragments intimes qui lui ont été confiés. Faisant preuve d’une réelle maîtrise du plateau, et d’un vrai sens du rythme dramaturgique, la metteuse en scène a aussi eu l’astucieuse idée d’allier deux comédiennes (Pauline Desmarets et Olivia Smets) et deux danseurs (Ben Fury et Alex Landa Aguirreche), capables de combiner leurs arts et d’associer leurs compétences pour saupoudrer ce récit de vie déjà haut en couleur d’une juste dose de paillettes et de facétie. Alors, lorsqu’en guise d’ultime scène, ses quatre acolytes offrent un enterrement de première classe à Annette, précisément scénarisé par la principale concernée au rythme du Duo des Fleurs de Lakmé, c’est, une nouvelle fois, la douceur qui l’emporte sur le drame, celle-là même qui, près de deux heures durant, aura permis de porter un autre regard sur la vieillesse et nous invite à vieillir sans peur ni crainte, mais en restant libre d’esprit.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Annette
Conception et mise en scène Clémentine Colpin
Co-conception et collaboration artistique Olivia Smets
Avec Annette Baussart, Pauline Desmarets, Ben Fury, Alex Landa Aguirreche, Olivia Smets
Assistanat à la mise en scène Charline Curtelin, Lila Leloup
Dramaturgie Sara Vanderieck
Scénographie et costumes Camille Collin
Confection costumes Cinzia Derom
Stage scénographie Elisa González
Création sonore Noée Voisard
Création lumière Nora Boulanger Hirsch
Régie lumière et générale Christophe Van Hove, Grégoire Tempels
Régie son Noée Voisard, Victor PetitProduction Le Rideau, Cie Canicule, la Coop
Coproduction Le Vilar, le Théâtre des Tanneurs
Soutien Fédération Wallonie-BruxellesDurée : 1h50
Théâtre des Doms, dans le cadre du Festival Off d’Avignon
du 6 au 25 juillet 2025, à 13h (relâche les 9, 12, 16, 19 et 23)Le Rideau, en coprésentation avec Le Varia, Bruxelles (Belgique)
du 17 au 26 septembreMalakoff, Scène nationale
les 13 et 14 novembreThéâtre de l’Union, CDN du Limousin, Limoges
les 19 et 20 novembreThéâtre Sorano, Toulouse
les 27 et 28 novembreCentral, La Louvière (Belgique)
les 6 et 7 janvier 2026Théâtre de la Croix-Rousse, Lyon
du 14 au 17 janvierMaison culturelle d’Ath (Belgique)
le 22 janvierNébia, Bienne (Suisse)
le 27 janvierLes Halles de Sierre (Suisse)
les 30 et 31 janvierCENTQUATRE-Paris
du 3 au 7 févrierCentre Culturel de Nivelles (Belgique)
le 12 févrierLa Vénerie, Bruxelles (Belgique)
du 5 au 9 marsNouveau Théâtre de Besançon CDN
les 27 et 28 mai
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