En mettant aux prises une fille partie vivre sur Mars et son père désespéré resté sur Terre en 2077, Tiago Rodrigues s’immisce dans la science-fiction avec une logorrhée qui alourdit son propos et dans un décor qui donne plus le tournis qu’il ne permet de respirer.
C’est son double défi maintenant qu’elle est à 200 millions de kilomètres de la Terre : Amina doit trouver de quoi faire de l’huile d’olive sans olive et savoir comment respirer. Sur Mars, il faut se créer un habitacle vivable et, de temps en temps, remonter à la surface pour voir ce qui s’y trame, car, sur Terre, il y a déjà eu trois effondrements. Un quatrième et un cinquième suivront, ça ne fait aucun doute. Alors, la jeune adulte a choisi de faire une « traversée » irréversible et de rejoindre le clan des « oubliants ». Puisque ça ne suffit plus de reconstruire le monde avec des ruines et que « les pierres sont désespérées », il est temps de faire un gigantesque reset. Bien sûr, cette sorte de mirage du meilleur des mondes possibles est une fabrique du fascisme et de déshumanisation supplémentaire, tant elle n’est accessible qu’à une caste supérieure qui aurait les moyens de ces nouvelles ambitions démiurgiques. Et le pouvoir de se reproduire en appairant un humain fertile à un autre comme on établirait une connexion USB. À l’autre bout de ce délire, le père, médecin de son état – lestant ainsi la dichotomie entre science et croyance – dans l’hôpital public « qui n’a que peu de moyens », est habité par l’inquiétude, la colère et le désir de rester en lien avec cette enfant qu’il a élevée seul depuis la mort très prématurée de la mère. Entre eux se succèdent des messages vocaux et s’esquissent parfois de rapides dialogues presque contre-nature.
Ce n’est pas la première fois que Tiago Rodrigues met en scène un duo. Il a notamment été très convaincant avec sa version d’Antoine et Cléopâtre ou cette merveille sur le déséquilibre d’un couple qu’est Le Chœur des amants. Dans le premier, il inventait une langue très stylisée en ne faisant dialoguer ses deux interprètes qu’à la troisième personne, commentant les gestes de l’un et l’autre, pour parvenir à une forme de radicalité admirable ; dans le second, il jouait avec la forme de l’interprétation, des voix synchronisées (excepté les pronoms personnels), et créait des débordements comme des enjambements de vers d’une grande élégance. Ici, le texte qu’il a écrit n’a pas cette agilité, tant il prête des réflexions parfois psychologisantes sur le monde comme il va mal à celui qui « a peur par amour » envers celle qui est accusée d’avoir « peur de l’amour ». Porté par un duo pourtant impeccable, Adama Diop – que Tiago Rodrigues avait sublimé dans sa version de La Cerisaie en 2021 dans la Cour d’honneur – et Alison Deschamps – formée à l’École du TNB encore l’an dernier –, le récit s’enfonce dans des visions binaires du futur – à peu près supportable ou complètement condamné – sans que ne soient questionnés les mécanismes sociaux et politiques qui ont engendré cette déréliction. Et pour bien souligner que les personnages sont enfermés dans leurs certitudes, ils évoluent sur un plateau tournant jusqu’au vertige coupé en deux (et donc l’un de l’autre) par des branchages morts nimbés d’une lumière chaude, dorée, voire rouge, qui accentue l’asphyxie ambiante.
Tiago Rodrigues rappelle à bon escient que les humains n’ont pas attendu que des « protocoles d’oubli » soient mis en place sur Mars – comme Caroline Guiela Nguyen avait inventé des protocoles pour raviver des souvenirs dans Fraternité – pour gommer notre entourage de nos mémoires. De même, il note que nous, ses semblables, n’avons pas besoin du prétexte d’être séparés des autres par une distance interplanétaire pour ne pas nous rendre visite. Mais, là encore, tout est très didactique et manque de souffle. Un comble pour celui dont la respiration était au centre du Chœur des amants et de son délicat Sopro. Finalement, la poésie n’émerge que lorsque la langue natale du directeur du Festival d’Avignon, le portugais, surgit pour décrire à deux reprises le caractère soi-disant « incroyable » (« incrivel ») de cette odyssée et pour que résonne la voix de Caetano Veloso (Sonhos). Les craquements du vinyle ont remplacé le bourdonnement constant destiné à la pressurisation des habitacles sur Mars. La tournette s’est arrêtée de tourner. Il est peut-être temps de respirer.
Nadja Pobel – www.sceneweb.fr
La Distance
Texte et mise en scène Tiago Rodrigues
Avec Alison Dechamps, Adama Diop
Traduction Thomas Resendes (français), Daniel Hahn (anglais)
Scénographie Fernando Ribeiro
Costumes José António Tenente
Lumière Rui Monteiro
Musique et son Pedro Costa
Collaboration artistique Sophie Bricaire
Assistanat à la mise en scène André Pato
Stagiaire à la mise en scène Thomas Medioni
Construction décor Ateliers du Festival d’AvignonProduction Festival d’Avignon
Coproduction Teatro stabile di Napoli Teatro Nazionale (Naples), Onassis Stegi (Athènes), La Comédie de Clermont-Ferrand Scène nationale, Divadlo International Theatre Festival (Plzeň), Le Volcan Scène nationale du Havre, Teatre Lliure (Barcelone), Centro Dramatico Nacional (Madrid), Malakoff Scène nationale Théâtre 71, Culturgest (Lisbonne), De Singel (Anvers), Équinoxe Scène nationale de Châteauroux, Points communs Nouvelle Scène nationale de Cergy-Pontoise / Val d’Oise, Piccolo Teatro di Milano Teatro d’Europa (Milan), Maillon Théâtre de Strasbourg Scène européenne, NTCH Taiwan National Theatre and Concert Hall, Les Célestins Théâtre de Lyon, Théâtre du Bois de l’Aune (Aix-en-Provence), Théâtre de Grasse Scène conventionnée d’intérêt national Art & Création, Scènes et Cinés Scène conventionnée d’intérêt national Art en territoire (Istres), Le Bateau Feu Scène nationale de Dunkerque, Plovdiv Drama Theatre, Malta Festival (Poznan), Espace 1789 (Saint-Ouen)
Avec le soutien de Ammodo Art, le dispositif d’insertion de l’École du TNB Théâtre national de Bretagne (Rennes) et pour la 79e édition du Festival d’Avignon : Spedidam
Résidence La FabricA du Festival d’AvignonCe projet est soutenu par la Fondation Calouste Gulbenkian – Délégation en France qui soutient la scène artistique portugaise au sein des institutions artistiques françaises.
La Distance de Tiago Rodrigues, traduction Thomas Resendes, est publié aux éditions Les Solitaires Intempestifs.
Durée : 1h30
Festival d’Avignon, L’Autre Scène du Grand Avignon, Vedène
du 7 au 26 juillet 2025Divadlo International Theatre Festival, Pilsen (République Tchèque)
les 10 et 11 septembrePlovdiv Drama Theatre (Bulgarie)
les 17 et 18 septembreMalakoff Scène nationale – Théâtre 71
du 1er au 3 octobreDe Singel, Anvers (Belgique)
les 10 et 11 octobreLe Maillon, Théâtre de Strasbourg Scène européenne
du 15 au 17 octobreTeatro Stabile di Napoli (Italie)
du 22 au 24 octobreLa Comédie de Clermont-Ferrand, Scène nationale
du 5 au 7 novembreThéâtre Vidy-Lausanne (Suisse)
du 13 au 23 novembreMC2: Grenoble
les 26 et 27 novembreÉquinoxe, Scène nationale de Châteauroux
le 1er décembreCentro Dramático Nacional, Madrid (Espagne)
du 15 au 18 janvier 2026Teatre Lliure, Barcelone (Espagne)
du 21 au 25 janvierLe Bateau Feu, Scène nationale de Dunkerque
les 29 et 30 janvierLe Volcan, Scène nationale du Havre
les 3 et 4 févrierOnassis Stegi, Athènes (Grèce)
du 7 au 10 maiPiccolo Teatro di Milano – Teatro d’Europa, Milan (Italie)
les 15 et 16 maiThéâtre de Grasse, Scène conventionnée d’intérêt national Art & Création
les 21 et 22 maiScènes et Cinés, Scène conventionnée d’intérêt national Art en territoire, Istres
les 27 et 28 maiThéâtre du Bois de l’Aune, Aix-en-Provence
les 2 et 3 juin
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