À Montpellier Danse, le chorégraphe anglo-bengali Akram Khan présente sa nouvelle création, Thikra, Night of Remembering, signée avec la plasticienne saoudienne Manal AlDowayan. Un spectacle avec plus de clichés que de souffle.
Pour sa septième venue au festival Montpellier Danse (après 2002, 2008, 2010, 2013, 2015 et 2018), Akram Khan – qui a annoncé lors d’une conférence de presse que sa compagnie cesserait son activité en 2027 pour se déployer au sein d’une nouvelle structure – a travaillé en étroite collaboration avec Manal AlDowayan. Née en 1973 à Dhahran, l’artiste figure parmi les plasticiennes contemporaines saoudiennes les plus en vue au niveau international : ayant représenté l’Arabie Saoudite lors de la Biennale de Venise 2024, celle qui mêle notamment photographie, création sonore, sculpture et témoignages dans son travail a intégré les collections d’institutions telles que le British Museum, le Musée Guggenheim de New York ou le Centre Pompidou.
Avant même la découverte de Thikra, Night of Remembering, deux évidences s’imposent : d’abord, difficile d’éluder le soft power manifeste. Initié par la Commission Royale pour AlUla – un organisme saoudien visant à faire du site archéologique d’AlUla une destination culturelle et touristique de premier plan – et créé en extérieur en avant-première sur place en janvier dernier, le spectacle s’inscrit dans une politique volontariste de développement artistique – avec le soutien de l’agence française Afalula. L’autre évidence porte sur les enjeux stimulants reliant les deux artistes. Qu’il s’agisse du chorégraphe ou de la plasticienne, l’une et l’autre déploient dans leur travail respectif – avec des vocabulaires et selon des axes singuliers – une réflexion sur la mémoire, la transmission de pratiques ancestrales et la façon dont les dynamiques traditionnelles peuvent être bousculées, refaçonnées, tressées avec le contemporain.
Quid, alors, de Thikra, Night of Remembering ? Le spectacle dépasse-t-il la carte postale aimable ? Force est de reconnaître qu’en dépit de son caractère prometteur, la création laisse un sentiment circonspect. Dans l’ensemble maîtrisé, Thikra se donne comme un spectacle hermétique, au sens de clos sur lui-même, où les images cliché se révèlent sans profondeur ni complexité. Mais reprenons. « Thikra », mot arabe, signifie, outre « souvenir », la « commémoration de la mort de quelqu’un·e ». Dans cette « nuit du souvenir », l’on assiste à un rituel semblant autant de résurrection que de réparation, de célébration que d’invocation. Lorsque le spectacle débute, une jeune femme est étendue sur un rocher situé à l’avant-scène. Au fond du plateau se trouve une grotte au fond inaccessible, mais d’où provient une lueur évoquant un feu. Une scénographie qui, si on l’imagine vouloir évoquer le paysage d’AlUla, est néanmoins plus proche du carton-pâte que du dispositif imposant. Au sommet de la grotte se tient une femme, figure tutélaire d’une communauté féminine. Retirant ce qui semble être une tenue de cérémonie, elle rejoint la jeune femme allongée et va se livrer à un étrange culte, accompagnée du collectif.
Pendant toute sa durée, le spectacle déplie ainsi plusieurs rituels, tous semblant être une variation autour de mêmes gestes, un recommencement encore et encore de mouvements et d’offrandes à consonance spirituelle. Interprété par quatorze danseuses, Thikra est distribué entre un chœur et quatre personnages féminins : la responsable de la communauté en rouge, la jeune femme qu’on célèbre en blanc et deux personnages en noir – possibles alter ego des deux autres. Comme Akram Khan et Manal AlDowayan l’ont expliqué en conférence de presse, tous deux ont découvert qu’ils partageaient une fascination pour les mythes, un intérêt pour AlUla – région habitée par de nombreux peuples, dont le nabatéen (ayant constitué un riche royaume) – et une attention à porter des récits depuis des points de vue féminins. D’où un spectacle hybride, synthèse entre leurs préoccupations communes et des traditions liées à leurs pays d’origine.
Si l’essentiel des danseuses indiennes de la distribution pratique le bharata natyam – une danse du sud de l’Inde –, ce sont autant le kathak – une danse du nord de l’Inde, emblématique du travail d’Akram Khan – que les danses traditionnelles découvertes dans l’AlUla qui nourrissent la chorégraphie. L’on retrouve les influences indiennes avec des positions proches de la statuaire, dominées par une forte expressivité, une perfection technique des gestes, et un langage des bras et des mains développé. S’y adjoignent d’autres mouvements, tels des tours ou une étonnante danse des cheveux, relevant, quant à eux, d’influences arabes. Las, la proposition chorégraphique, répétant et reprenant les mêmes motifs sans les creuser ni en révéler une profondeur fertile, ne parvient pas à excéder un catalogue d’images lisses et lointaines, sans chair ni puissance. Ainsi, à l’image du kitsch du décor, de la création lumières maintenant ces rituels dans une semi-obscurité – et sur-signifiant la distance entre ce qui se joue au plateau et nous – ou de la musique extrêmement démonstrative et appuyée, la danse elle-même achoppe à transmettre l’ancrage spirituel espéré. Loin du rituel, le spectacle avec sa forme volontariste et sa dramaturgie trop faible se donne comme un objet lisse, sans aspérités, manquant de souffle et d’esprit. Et risque de ne laisser que de faibles souvenirs.
caroline châtelet – www.sceneweb.fr
Thikra, Night of Remembering
Direction et chorégraphie Akram Khan
Directeur visuel, costumes et scénographie Manal AlDowayan
Avec Pallavi Anand, Ching-Ying Chien, Kavya Ganesh, Nikita Goile, Samantha Hines, Jyotsna Jagannathan, Mythili Prakash, Azusa Seyama Prioville, Divya Ravi, Aishwarya Raut, Mei Fei Soo, Harshini Sukumaran, Shreema Upadhyaya, Kimberly Yap, Hsin-Hsuan Yu, Jin Young Won
Concept narratif Manal AlDowayan, Akram Khan
Compositeur et univers sonore Aditya Prakash
Conception sonore Gareth Fry
Création lumière Zeynep Kepekli
Associé créatif, coach Mavin Khoo
Dramaturge Blue Pietà
Répétitrices Charlotte Pook, Angela Towler, Chris TudorProduction Bagri Foundation
Coproduction Festival Montpellier Danse 2025, Berliner Festspiele, Brown University, Pina Bausch Zentrum, Sadler’s Wells, Théâtres de la Ville de Luxembourg, Théâtre de la Ville Paris
Avec le soutien de la Fondation Bagri
Avec le soutien par l’Arts Council EnglandDurée : 1h05
Vu en juin 2025 au Festival Montpellier Danse
ImPulsTanz, Vienne (Autriche)
du 29 juillet au 1er aoûtFestival international de Santander (Espagne)
le 17 aoûtSadler’s Wells, Londres (Royaume-Uni)
du 28 octobre au 1er novembreFestival Romaeuropa (Italie)
les 5 et 6 novembreLes Théâtres de la Ville de Luxembourg
du 19 au 21 septembreThéâtre de la Ville, Paris
du 2 au 18 octobreBerliner Festspiele (Allemagne)
les 11 et 12 novembreTanz Köln, Cologne (Allemagne)
les 19 et 20 novembre
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