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Julie Deliquet met la guerre à hauteur de femmes

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Julie Deliquet adapte La guerre n'a pas un visage de femme de Svetlana Alexievitch au Printemps des Comédiens
Julie Deliquet adapte La guerre n'a pas un visage de femme de Svetlana Alexievitch au Printemps des Comédiens

Photo Christophe Raynaud de Lage

En ouverture du Printemps des Comédiens, la metteuse en scène et directrice du Théâtre Gérard Philipe, Julie Deliquet, s’empare brillamment de La guerre n’a pas un visage de femme de Svetlana Alexievitch, et redonne à la parole de ces soldates soviétiques, invisibilisées par l’Histoire officielle et réduites au silence par la société, la place centrale qu’elle mérite.

Tout se passe comme si, année après année, l’idée faisait tache d’huile, comme si un nombre grandissant de metteuses et metteurs en scène prenaient conscience, saison après saison, du caractère intrinsèquement théâtral des textes de Svetlana Alexievitch. Dans la foulée de Didier-Georges Gabily, qui fut le premier, en 1992, à faire entendre ses mots sur le plateau d’un théâtre français en s’emparant des Cercueils de zinc – ce sidérant recueil de paroles de soldats soviétiques brisés par la guerre d’Afghanistan –, ils sont de plus en plus nombreuses et nombreux à se plonger, à intervalles réguliers, dans l’oeuvre fondamentale de l’autrice et journaliste biélorusse, sans doute encouragés par le prix Nobel de littérature qu’elle s’est vu décerner en 2015. Au-delà des quelques adaptations, plus ou moins réussies, de La Supplication – où l’autrice fait le récit de la catastrophe de Tchernobyl à travers les voix de celles et ceux qui l’ont vécue –, La Fin de l’homme rouge avait offert un formidable substrat à Emmanuel Meirieu qui, en 2019, s’en était emparé et avait bâti un spectacle renversant d’humanité. Pour donner à entendre les témoignages de ces survivantes et survivants de l’ère soviétique, le metteur en scène avait alors opté pour une succession simple, mais diablement efficace, de monologues. Dans une salle de classe en ruines, Stéphane Balmino, Évelyne Didi – que l’on retrouve ici –, Xavier Gallais, Anouk Grinberg, Jérôme Kircher, Maud Wyler et André Wilms se succédaient jusqu’à former une bouleversante galerie de portraits, ceux de femmes et d’hommes façonnés, défaits, puis broyés par l’immense machinerie totalitaire. Pour donner corps à La guerre n’a pas un visage de femme, Julie Deliquet aurait pu emprunter un chemin similaire, et isoler les voix de la petite dizaine de femmes qu’elle convoque au plateau. Au contraire. Avec une justesse conforme à la construction du livre de Svetlana Alexievitch – qui procède, elle aussi, par thématiques –, la metteuse en scène les mobilise toutes ensemble au long d’une prise de parole collective dont la choralité est l’une des forces motrices.

La théâtralité, la patronne du Théâtre Gérard Philippe l’installe astucieusement, grâce à un dispositif qui, s’il tord le processus de collecte originel, ne le trahit en rien. Au lieu d’aller à la rencontre de ces femmes les unes après les autres, comme la journaliste biélorusse s’y était employée pendant sept ans, Julie Deliquet les réunit dans une même kommounalka – qu’elle a joliment reconstituée avec l’aide de Zoé Pautet –, cet appartement communautaire où, après la Seconde Guerre mondiale, le pouvoir soviétique avait décidé que les citoyennes et les citoyens vivraient ensemble. Carnet et stylo en main, le double théâtral de Svetlana Alexievitch, incarnée par Blanche Ripoche, ouvre et conduit cette entrevue au cours de laquelle, sous une ribambelle de vêtements en train de sécher, et d’abord alignées en rang d’oignon, Valentina, Olga, Antonina, Tamara, Alexandra, Lioudmila, Klavdia, Nina et Zinaïda vont peu à peu se découvrir. Toutes ont en commun d’avoir participé à ce que Moscou a dénommé, avec son emphase calculée, la « Grande Guerre patriotique » où l’URSS s’est engagée en juin 1941 après la rupture du pacte germano-soviétique par les nazis. Originaires de différentes régions de l’Union, d’Ukraine, de Biélorussie, comme de Russie, ces neuf combattantes mettent à mal le fameux mythe de l’arrière où, selon les récits de l’Histoire officielle, toutes les femmes se seraient réfugiées – pour, au mieux, faire tourner le pays – pendant que tous les hommes en âge de se battre auraient été envoyés au front. Comme 800 000 à 1 million de leurs concitoyennes, elles aussi sont montées en première ligne, en tant que brancardière, tireuse d’élite, responsable d’un canon antiaérien, médecin, agent de renseignements et même pilote, alors qu’elles n’avaient, pour la plupart, même pas terminé leur adolescence.

Cette tranche de leur vie, ces neuf femmes s’y replongent par bribes. Guidées par les questions sensibles, mais discrètes, de Svetlana Alexievitch, elles ne se livrent pas d’un seul bloc, comme on déroulerait la compilation de ses exploits passés. Sur les motifs de leur engagement, sur leur rapport ambigu au Jour de la Victoire, sur leurs relations avec les hommes, sur leur gestion des menstrues, sur la méfiance qu’elles inspiraient après-guerre, sur le silence auquel elles se sont astreintes, et dans lequel on les a cantonnées, sur le conditionnement de l’idéologie soviétique, sur la mort, la haine, la famille, et plus encore, toutes se confient par capillarité, en rebond les unes par rapport aux autres, comme si elles étaient aiguillonnées et nourries par le collectif éphémère qu’elles forment. En ressort un panorama d’une infinie richesse – qu’il est d’ailleurs peu aisé de transcrire ici sans prendre le risque de le réduire – qui dit tout du combat protéiforme et de la condition multiple de ces femmes soldates dont le rôle crucial a été invisibilisé et la parole silenciée, pour mieux permettre aux hommes de rester les seuls et uniques héros de l’Histoire. Dans le sillage de Svetlana Alexievitch, c’est à cette parole du quotidien et de l’humain que Julie Deliquet entend redonner la place centrale qu’elle mérite. Comme l’autrice biélorusse avant elle, la metteuse en scène s’impose comme une brillante passeuse – au sens noble du terme – qui, au gré d’un très fin travail d’adaptation mené avec Julie André et Florence Seyvos, ne cesse de vouloir transmettre, avec la radicalité et l’exigence d’une adresse frontale, ce qui lui a été confié, tout en veillant à en montrer, avec un infini respect, la préciosité. Dans sa direction d’actrices, elle impose un tempo savamment cadencé, qui semble vouloir traduire l’urgence de la libération de cette parole trop longtemps tue, de ces mots trop longtemps retenus, mais aussi la diversité de points de vue qui parfois s’opposent. En même temps qu’elles font preuve d’une vraie qualité d’écoute – elles ne s’interrompent, par exemple, à aucun instant –, ces neuf témoins voient leurs prises de parole coulisser les unes sur les autres jusqu’à former un ensemble qui rend compte de la complexité d’existences forcément plurielles.

Cette réussite, Julie Deliquet la doit évidemment à ses neuf comédiennes qui, toutes, sans aucune exception, se révèlent excellentes. Cintrées dans les beaux costumes d’époque de Julie Scobeltzine, propulsées dans une faille temporelle par les coiffures et perruques très seventies de Jean-Sébastien Merle, Julie André, Astrid Bayiha, Évelyne Didi, Marina Keltchewsky, Odja Llorca, Marie Payen, Amandine Pudlo, Agnès Ramy et Hélène Viviès réussissent à faire cause commune, à donner l’illusion d’un collectif bien réel, tout en ne cédant jamais un millimètre sur le terrain de cette individualité que l’Histoire, et l’idéologie soviétique avec elle, a refusé aux femmes dont elles portent aujourd’hui la voix. Sous les belles lumières de Vyara Stefanova qui, avec la plus grande discrétion, glissent paisiblement du matin au soir, elles font preuve de cette force tranquille, qui grandit à mesure que leur parole se libère et se traduit dans leurs corps de plus en plus mobiles, et donnent à observer une humanité paradoxalement lumineuse, qui rend supportable la dureté – parfois extrême – des propos qu’elles tiennent, et tranche avec ces failles que l’on voit poindre à certains moments sous l’épaisse cuirasse. Car, sans tomber dans un pathos qui contreviendrait à la discrétion naturelle de ces combattantes et au travail de recueil tout en délicatesse de Svetlana Alexievitch, les comédiennes se laissent parfois gagner par l’émotion, qui embue leurs yeux et fait subrepticement dérailler leur voix, avant de se reprendre tout à trac, dans un sursaut de pudeur qui rend le moment encore plus bouleversant. Ensemble, et chacune à leur endroit, Valentina, Olga, Antonina, Tamara, Alexandra, Lioudmila, Klavdia, Nina et Zinaïda avaient à coeur, en se confiant à Svetlana Alexievitch, de transmettre leurs histoires pour les faire sortir de la trappe du silence et de l’oubli où elles étaient enfermées. Une volonté dont Julie Deliquet et ses dix comédiennes prennent aujourd’hui brillamment le relais pour que vivent leurs mots, et qu’ils entrent en résonance, par la bande, avec les maux de leurs homologues du temps présent.

Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr

La guerre n’a pas un visage de femme
d’après Svetlana Alexievitch (Éditions J’ai lu)
Mise en scène Julie Deliquet
Avec Julie André, Astrid Bayiha, Évelyne Didi, Marina Keltchewsky, Odja Llorca, Marie Payen, Amandine Pudlo, Agnès Ramy, Blanche Ripoche, Hélène Viviès
Traduction Galia Ackerman, Paul Lequesne
Version scénique Julie André, Julie Deliquet, Florence Seyvos
Collaboration artistique Pascale Fournier, Annabelle Simon
Scénographie Julie Deliquet, Zoé Pautet
Lumière Vyara Stefanova
Costumes Julie Scobeltzine
Régie générale Pascal Gallepe
Coiffures et perruques Jean-Sébastien Merle
Assistanat aux costumes Annamaria Di Mambro
Réalisation des costumes Marion Duvinage
Construction du décor Atelier du Théâtre Gérard Philipe, centre dramatique national de Saint-Denis
Régie plateau Bertrand Sombsthay
Régie lumière Sharron Printz
Régie son Vincent Langlais
Accessoiriste Élise Vasseur
Habillage Nelly Geyres

Production Théâtre Gérard Philipe, Centre dramatique national de Saint-Denis
Coproduction Cité européenne du théâtre – Domaine d’O, Montpellier ; Comédie – CDN de Reims ; Nouveau Théâtre de Besançon – CDN ; La Comédie de Béthune – CDN Hauts-de-France ; Comédie – CDN de Reims ; Théâtre National de Nice – CDN ; L’Archipel – scène nationale de Perpignan ; Équinoxe – scène nationale de Châteauroux ; Les Célestins, Théâtre de Lyon ; La Rose des Vents – scène nationale Lille Métropole-Villeneuve d’Ascq ; l’EMC91 – Saint-Michel-sur-Orge ; Le Cercle des partenaires du TGP
Avec le soutien du dispositif d’insertion professionnelle de l’ENSATT

Durée : 2h30

Vu en mai 2025 au Théâtre Jean-Claude Carrière, Montpellier, dans le cadre du Printemps des Comédiens

Théâtre Gérard Philipe, CDN de Saint-Denis
du 24 septembre au 17 octobre

Théâtre National de Nice, Centre dramatique national Nice Côte d’Azur
les 8 et 9 janvier 2026

MC2: Maison de la Culture de Grenoble, Scène nationale
les 14 et 15 janvier

Les Célestins, Théâtre de Lyon
du 21 au 31 janvier

Comédie de Saint-Étienne, CDN
les 4 et 5 février

Théâtre de Lorient, CDN
les 10 et 11 février

Comédie de Genève
du 18 au 20 février

Malraux, Scène nationale Chambéry Savoie
les 25 et 26 février

Théâtre Dijon Bourgogne, CDN
du 3 au 7 mars

Comédie de Caen, CDN de Normandie
les 11 et 12 mars

Le Grand R, Scène nationale, La Roche-sur-Yon
les 18 et 19 mars

L’Archipel, Scène nationale, Perpignan
le 27 mars

ThéâtredelaCité, CDN Toulouse Occitanie
du 31 mars au 3 avril

Comédie de Reims, CDN
du 8 au 10 avril

La Ferme du Buisson, Scène nationale, Noisiel
le 14 avril

Espace Marcel Carné, Saint-Michel-sur-Orge
le 17 avril

Nouveau Théâtre de Besançon, CDN
les 22 et 23 avril

La Rose des vents, Scène nationale, Lille Métropole Villeneuve d’Ascq
les 28 et 29 avril

Équinoxe, Scène nationale, Châteauroux
le 5 mai

1 juin 2025/par Vincent Bouquet
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