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« Monde nouveau », la déroutante dystopie de Garraud et Saccomano

A voir, Albi, Alès, Béthune, Gennevilliers, Le Mans, Les critiques, Lyon, Malakoff, Marseille, Maubeuge, Montpellier, Sète, Théâtre, Tulle
Nathalie Garraud et Olivier Saccomano créent Monde nouveau au Théâtre des 13 Vents
Nathalie Garraud et Olivier Saccomano créent Monde nouveau au Théâtre des 13 Vents

Photo Jean-Louis Fernandez

Au Théâtre des 13 vents qu’ils dirigent en tandem, la metteuse en scène Nathalie Garraud et le dramaturge Olivier Saccomano se lancent dans une exploration audacieuse et troublante de notre contemporanéité, et révèlent autant qu’ils se font enserrer par le corset techno-capitaliste qui, à force de la conditionner, menace en sous-main notre commune humanité.

En observant les lumières de la grande salle du Théâtre des 13 vents s’évanouir en cadence aux prémices de Monde nouveau, les amatrices et les amateurs de Severance y verront sans doute un présage. Dans cette fascinante série américaine, dont la seconde saison vient de s’achever sur Apple TV+, les bureaux et les couloirs de la société Lumon Industries, où œuvrent des employés dissociés – afin que leurs vies personnelle et professionnelle soient étanches l’une par rapport à l’autre –, s’illuminent et s’éteignent avec la même régularité, automatique, anxiogène, symbole d’une entreprise toute puissante qui n’a plus besoin de l’intervention des humains pour s’endormir ou s’éveiller. Sur le plateau, des vêtements et autres accessoires du quotidien – gourdes en métal, plantes vertes en plastique… – sont regroupés en tas bien agencés. Il ne s’agit pas à proprement parler d’uniformes, mais bien de tenues complètes rangées en packs, façon Marie Kondō, autres allégories d’une existence qui ne supporterait plus le moindre désordre, qui ne laisserait plus aucune place à la liberté individuelle, où tout sera prêt à porter, pré-mâché, pré-pensé. Avec ces deux seuls signaux, Nathalie Garraud et Olivier Saccomano nous immergent in medias res dans leur Monde nouveau, qui n’est, en réalité, que le reflet augmenté du nôtre. Après avoir vogué dans la plus pure tradition théâtrale au contact de Shakespeare et de deux de ses protagonistes-phares, Hamlet (Un Hamlet de moins) et Ophélie (Institut Ophélie), le tandem se mesure à notre contemporanéité, qu’il a eu l’ambition, infiniment audacieuse, d’englober dans un seul et même spectacle, de condenser en un seul et même mouvement.

Quand soudain, au rythme de l’une des toccatas du premier livre du Clavier bien tempéré de Bach, surgit une cohorte d’individus. Perruqués, sertis dans des combinaisons couleur chair qui gomment leurs aspérités physiques, tous semblent suivre une chorégraphie strictement cadencée qui leur aurait été préalablement inculquée. Bientôt rejoints par une série de cadres de toutes tailles qui descendent peu à peu des cintres, tels les doubles théâtraux de ces écrans à travers lesquels nous voyons désormais le monde, ils ont l’allure aseptisée d’androïdes et ne cessent de reproduire des gestes aux accents numériques : ils swipent, scrollent et prennent la pose en mode selfie, pour que ces rectangles technologiques où ils s’admirent puissent capturer leur image. Au centre de la scène, une jeune femme est allongée, paisiblement, et paraît ne pas entendre le discours foncièrement technophile qui se forme autour d’elle. En canon, ces individus non identifiés – que le texte appelle K1, K2, K3, K4, K5 et K6 – se mettent à tresser des louanges à ces innovations – la porte automatique, les lignes à grande vitesse, les tableaux à multiples entrées garnis de données en tous genres… – qui, à leurs yeux, constituent autant de « libérations » pour l’espèce humaine, et se disent prêts à franchir « un nouveau palier ».

C’est alors que la jeune inconnue se réveille en sursaut, et se révèle être femme de ménage dans une entreprise – brièvement décrite comme une « agence de design japonaise » –, dont les individus qui l’entourent deviennent, de facto, les salariés. Troublée par la situation, se demandant « dans quel monde » elle est « tombée », Alice, c’est son nom, est désormais prise au coeur d’un grand maelström. S’y entrechoquent, jusqu’à former un vortex puissant, l’univers de l’entreprise, qui paraît avoir tout phagocyté, la sphère politique, dominée par le fameux trio de l’internationale réactionnaire Trump-Meloni-Milei, et la sphère intime, où les femmes et les hommes n’ont plus rien d’humain, éblouis par les fausses promesses d’émancipation, qui ont conduit à leur asservissement, et réduits à l’ensemble des données qu’ils génèrent. Scandée par des rituels qui, à l’image de la musique de Bach, du jeu de lumière initial et de ce « Bonne année » dépourvu de sincérité, reviennent à intervalles réguliers, cette dystopie techno-capitaliste franchit alors des crans supplémentaires, jusqu’à prendre un virage néofasciste lorsqu’un dirigeant sous influence saisit le prétexte de la menace d’une guerre imminente pour instaurer une « monarchie opérationnelle provisoire », soit une dictature, contre laquelle Alice va entrer en résistance.

À l’instar de ce Monde nouveau où, de l’aveu même de ceux qui le composent, « les mots ne comptent pas vraiment » et les « gens qui portent le désordre dans le langage sont encore plus dangereux que ceux qui portent le désordre dans les rues », la langue tissée par Olivier Saccomano est, tout à la fois, déliquescente, syncopée, dévitalisée, formatée, pour mieux empêcher la pensée de se mettre en mouvement. Garni de fulgurances, à l’écoute, et encore davantage à la lecture, le conte choral qu’elle façonne aborde, de manière souvent très, et parfois trop, subreptice, une quantité astronomique de thématiques pour englober la majorité des maux du temps présent. Dans la sphère techno-capitaliste où les individus évoluent, les références au tout-sécuritaire, à l’achat d’armement, aux inégalités croissantes – et à ces « chefs qui mangent de la brioche » –,  à la mainmise des grands groupes, à la perte de sens – « Ça se voit dans le regard de ma boulangère, si on peut encore appeler ça un regard, et si on peut encore appeler ça une boulangère, qu’elle n’y est plus, vous comprenez » –, à la surveillance généralisée, au trafic de drogues ou encore aux marottes de l’extrême droite – le rejet de l’étranger, le trop-plein d’allocations, le mal nommé wokisme (« Vous imaginez, si demain, […] je refuse l’opposition binaire entre le jour et la nuit, et que j’oblige mon voisin à remplacer ‘bonjour’ par je ne sais pas moi, ‘enclume’, ‘panda’, ‘abricot’ ? ») – pullulent et s’enchaînent dans un même élan, dont la dynamique, si elle est mériterait parfois d’être resserrée, déroute, avant de fasciner. Car, dans la veine de la série Black Mirror des origines – avant qu’elle ne soit produite par Netflix –, ce Monde nouveau s’impose comme une version tout juste anticipée du nôtre, et permet de mettre en garde, avec l’énergie du désespoir, sur le précipice qui nous guette.

Pour donner vie à cet univers cauchemardesque, parfois digne de Kafka, Nathalie Garraud et Olivier Saccomano ont, comme à leur habitude, travaillé en étroit tandem, et la mise en scène de l’une paraît alors consubstantielle du texte de l’autre, comme si les deux se généraient de concert. Autoritaire, précis, minutieux, réglé comme du papier à musique et porté par une belle brochette de comédiennes et de comédiens qui se fondent avec une aisance déconcertante dans leurs rôles de pantins, tout en gardant une singularité, le travail de Nathalie Garraud se met alors au diapason de la pièce qu’elle entend servir, jusqu’à tomber dans une inévitable chausse-trape. Lui-même reflet du corset techno-capitaliste qui enserre et façonne nos sociétés, le texte d’Olivier Saccomano ne lui donne que bien peu de marges de manoeuvre et manque – à quelques exceptions près, qui signalent souvent le retour de l’humain – de situations de jeu capables de faire respirer l’ensemble, et de faire entendre clairement la totalité de ses fulgurances. Dès lors, d’aucuns pourront sans doute se sentir noyés par ce flot continu, délivré à flux tendu, mais le secret, pour y pénétrer, est de laisser le tout se décanter – une nuit, ou quelques heures pour les plus rapides d’entre nous. Se dessinent alors les perspectives ouvertes par ce Monde nouveau, celles d’un spectacle total, téméraire, effronté, aventureux, qui ose bien davantage que nombre d’autres, et qui doute, et fait douter, bien plus que son image volontairement totalitaire ne le laisse de prime abord à penser.

Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr

Monde nouveau
Mise en scène, dramaturgie et scénographie Nathalie Garraud
Texte et dramaturgie Olivier Saccomano
Avec Florian Onnéin, Conchita Paz, Lorie-Joy Ramanaïdou, Charly Totterwitz (Troupe Associée au Théâtre des 13 vents) et Eléna Doratiotto, Mitsou Doudeau, Jules Puibaraud en alternance avec Cédric Michel
Costumes Sarah Leterrier
Lumières Sarah Marcotte
Collaboration scénographique et plateau Marie Bonnemaison
Création son Serge Monségu, Pablo Da Silva
Assistanat à la mise en scène Romane Guillaume
Régie générale Nicolas Castanier
Chef atelier décors du Théâtre des 13 vents Christophe Corsini
Cheffe atelier costumes du Théâtre des 13 vents Marie Delphin

Production Théâtre des 13 vents CDN Montpellier
Coproduction Comédie – Centre dramatique national de Reims ; La Comédie de Béthune – CDN Hauts-de-France ; Scène Nationale d’Albi-Tarn / GIE FONDOC ; L’empreinte – Scène nationale Brive-Tulle ; T2G Théâtre de Gennevilliers – Centre Dramatique National ; Les Quinconces & L’Espal – Scène nationale Le Mans ; CDN Orléans / Centre-Val de Loire ; Le Cratère – Scène nationale d’Alès / GIE FONDOC ; Les Célestins – Théâtre de Lyon ; Cité européenne du théâtre – Domaine d’O – Montpellier / PCM2025 ; Le Manège Maubeuge – Scène nationale transfrontalière
Soutien La Fonderie – Le Mans

Durée : 1h40

Théâtre des 13 vents, CDN Montpellier, dans le cadre du Printemps des Comédiens
du 30 mai au 7 juin 2025

Scène nationale d’Albi-Tarn
les 19 et 20 novembre

L’empreinte, Scène nationale Brive-Tulle
les 25 et 26 novembre

Malakoff Scène nationale
les 11 et 12 décembre

Les Quinconces et L’Espal, Scène nationale du Mans
les 16 et 17 décembre

T2G Théâtre de Gennevilliers, Centre dramatique national
du 5 au 14 février 2026

Le Manège Maubeuge, Scène nationale transfrontalière
le 13 mars

La Comédie de Béthune, CDN Hauts-de-France
du 17 au 19 mars

Les Célestins, Théâtre de Lyon
du 25 au 28 mars

Théâtre Joliette, avec Le ZEF, Scène nationale de Marseille
du 31 mars au 3 avril

Le Cratère, Scène nationale Alès
le 14 avril

Théâtre Molière, Sète, Scène nationale Archipel de Thau
le 16 avril

2 juin 2025/par Vincent Bouquet
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