Pour sa première mise en scène, créée au Théâtre du Nord avant de partir au Train Bleu, à Avignon, cet été, Grégori Miège, seul au plateau, livre une forme personnelle, efficace et touchante.
Un corps unique sur un plateau nu et une voix off qui nous abreuve de chiffres : sachez que 40 % à 48 % des Français de plus de 18 ans sont en surpoids ou obèses, que les troubles alimentaires sont l’une des principales causes de mortalité chez les jeunes, ou encore que 63 % des enfants au collège disent avoir subi ou entendu des remarques sur leur poids ou celui de leurs camarades. Des chiffres en cascade comme ceux qui jalonnent la vie d’un corps pesé, vérifié, mesuré, scruté, quantifié, évalué sous toutes ses coutures.
Ce flot de données, aussi indigeste que vertigineux, laisse peu à peu la place à un patchwork de récits, témoignages, biographies et autobiographies collectivement retravaillés pour être restitués à travers la voix d’un personnage unique endossé par Grégori Miège. Dans l’entourage de David Bobée, le patron du Théâtre du Nord, qu’il a rejoint en 2017 pour Peer Gynt, il était récemment Monsieur Dimanche dans Dom Juan. Aujourd’hui, il prend son envol et s’entoure à l’écriture et à la mise en scène de la sémiologue Marielle Toulze, chercheuse en communication à l’Université de Saint-Étienne, et du sociologue Arnaud Alessandrin, spécialiste des questions de genre et de discrimination. Ensemble, ils fondent la compagnie Oxalis et publient le texte Comme tu me vois aux éditions de l’Harmattan.
S’enchaînent alors les récits d’angoissants rendez-vous chez le chirurgien bariatrique, de parcours de soin en dents de scie, de suivis nutritionnistes aussi infantilisants qu’humiliants. De l’enfance à la parentalité en passant par les relations amoureuses, la grossophobie ordinaire se raconte dans le quotidien, composé de regards appuyés, de tailles de vêtements jamais adaptées, de conseils non sollicités, le tout sous couvert de bienveillance ou maquillé de sarcasme, quand il ne s’agit pas frontalement d’insultes, de harcèlement, d’attaques verbales ou physiques. Seul compagnon de scène – avant l’arrivée du dispositif final –, un fauteuil aux accoudoirs élargi, artefact aussi rassurant que stigmatisant.
Ne contournant pas l’écueil de dresser une liste non exhaustive des discriminations liées à la grossophobie, la proposition est véritablement percutante dans sa mise en corps. C’est lorsque Grégori Miège, avec une grande pudeur et une retenue à peine feinte, entame une lente valse en sifflotant le générique de l’émission Strip-Tease avant de faire tomber la chemise, s’adressant à son corps comme à un ami fidèle, mais encombrant, qu’il nous touche réellement ; c’est quand il ouvre un voyage multisensoriel autour du plaisir, de la nourriture, de la culpabilité et de la liberté qu’il atteint nos contradictions en commun. La création lumière de Stéphane Babi Aubert sublime ainsi avec subtilité ce corps tantôt voilé de clair-obscur, tantôt augmenté en ombres imposantes, tantôt crûment entouré d’un halo blafard.
Comme tu me vois est un doux, mais non moins cruel, voyage en grossophobie, porté avec brio par un comédien de talent. Une proposition efficace qui résonne comme une revendication à faire apparaître des espaces où une nouvelle neutralité serait possible, où un corps pourrait exister tel quel. Sans batailler.
Fanny Imbert – www.sceneweb.fr
Comme tu me vois / Récits d’une grossophobie ordinaire
Texte, dramaturgie et mise en scène Grégori Miège, Marielle Toulze, Arnaud Alessandrin
Avec Grégori Miège, et les voix de Clément Bigot, Fantine Gélu, Ambre Germain-Cartron
Création lumière Stéphane Babi Aubert
Création musicale Emmanuel Cremer
Costumes Angélique Legrand
Regard exterieur et scénographie David Bobée
Assistanat à la mise en scène Sophie ColleuProduction déléguée Théâtre du Nord
Coproduction Le Manège, Maubeuge, Scène nationale transfrontalièreLe texte est publié aux éditions l’Harmattan – Théâtres.
Durée : 1h15
Vu en mai 2025 au Théâtre du Nord, Lille
Théâtre du Train Bleu, dans le cadre du Festival Off d’Avignon 2025
du 5 au 24 juillet, à 18h45 (relâche les 11 et 18)
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