Aurélie Van Den Daele, Limoges en fête
Depuis son arrivée à la tête du Théâtre de l’Union, CDN du Limousin en 2021, Aurélie Van Den Daele fédère une équipe et un public autour d’une programmation audacieuse, festive et engagée. Une réussite enthousiasmante qui change l’image de la ville.
Un oxymore est une figure de style réunissant deux mots en apparence contradictoires. Par exemple, « un silence éloquent », « un désordre organisé » ou « une ambiance de folie à Limoges ». Ce dernier exemple repose sur un cliché – la capitale du Limousin serait une ville lugubre, ce qui reste discutable –, mais il demeure véridique : depuis qu’Aurélie Van Den Daele a pris la direction du Centre dramatique national de la ville, le Théâtre de l’Union, Limoges est en fête. D’un point de vue d’amateur de théâtre, tout du moins. Régulièrement, le hall de la salle est enguirlandé comme avant une boum – on y trouve parfois des boules à facettes. La programmation y est audacieuse, engagée et tournée vers la jeunesse. À l’image de sa directrice à vrai dire, laquelle suscite toujours le même commentaire : « Elle est quand même vachement sympa Aurélie Van Den Daele » – attention à ne pas esquinter son nom, on prononce « Van Den Dale ».
Un nom de famille hérité de son père belge flamand ; un prénom qui aurait pu être transalpin, puisque sa mère est italienne, mais ses parents ont opté pour le français. « Ils appartiennent à cette génération qui invisibilisait ses origines, préférant s’assimiler à la masse. » Aurélie Van Den Daele a grandi à Échirolles, près de Grenoble, au sein de la classe moyenne. Elle se décrit comme une jeune fille discrète et maladroite – c’est-à-dire bien à l’opposé de la directrice fédératrice qu’elle est devenue. « Je passais mon temps à inventer des histoires pour donner un sens aux lieux que j’habitais et y trouver ma place ». Vers dix ans, le théâtre s’impose comme son activité extrascolaire, et celles et ceux qui le pratiquent comme sa nouvelle bande. « C’était des enfants bien différents de moi qui assumaient d’où ils venaient, avec leurs parcours, leur culture, leurs accents. À leur contact est né mon désir d’accorder davantage de visibilité aux origines plurielles, et faire parler les fantômes du passé. »
Des sujets politiques, et intimes
Le théâtre est la voie à suivre. Ses parents y seront moins favorables. Elle-même se met à douter. Le métier étant difficile, l’intention ne faisant pas tout, beaucoup d’appelés et peu d’élus, un tien vaut mieux que deux tu l’auras… Elle se lance alors dans des études de droit. Une bifurcation a priori étonnante, mais pas tant que ça, au fond, si on la considère a posteriori. Aurélie Van Den Daele travaille – jusqu’en DEA, l’équivalent du Master 2 – sur les questions liées aux droits des personnes trans, des individus vulnérables, au statut de l’enfant à naître. Autant de sujets qui ne sont pas tout à fait dans l’air du temps à une époque où le mariage pour tous n’existe pas encore, mais qui constituent autant de thèmes qui jalonnent aujourd’hui ses pièces, ainsi que les spectacles d’une programmation progressiste – ou « woke » diraient ses détracteurs, lesquels donnent au terme anglo-saxon une connotation délibérément négative. On y reviendra.
Toujours est-il que l’artiste en herbe bifurque. D’abord vers le jeu, puis vers la mise en scène. « Un jour, je me suis assise pour regarder mes camarades répéter, et ce fut comme une révélation. J’aimais la vision d’ensemble. J’aimais l’énergie collective. » Elle monte Peggy Pickit voit la face de dieu de Roland Schimmelpfennig, et se fait repérer. Elle crée sa compagnie Deug Doen Group, et prend son envol. Elle s’essaie à des monstres contemporains (Angels in America), des spectacles engagés à la lisière de la série télé (1200 Tours), des pièces destinées au jeune public (Glovie). « J’ai besoin de porter des récits travaillés par des sujets que j’ai rencontrés intimement et politiquement dans mon parcours », dit-elle. Avec une prédilection pour les textes contemporains, jusqu’à preuve du contraire – une Cerisaie serait en préparation.
Trouver sa place
Pour le désir d’être entourée et de rendre ce qu’on lui a donné, elle candidate à la direction du CDN de Thionville, mais essuie un échec ; puis elle retente sa chance, avec succès, au CDN de Limoges, qui abrite une école (l’ESTU). Elle prend ses fonctions dans une institution exsangue, en 2021, juste après le Covid et le mandat écourté de son prédécesseur Jean Lambert-wild, accusé de violences morales et d’abus de pouvoir par les étudiants de l’ESTU. « C’était vraiment difficile, il fallait réparer, rassurer et retrouver du sens, tout en apprenant un nouveau métier ». Mais elle y parvient.
Très bien même. Trouvant sa place au sein de l’écosystème culturel limougeaud ; parvenant à exister face à une mairie tenue par la droite ; dialoguant avec celles et ceux qui ne pensent pas comme elle, et celles et ceux qui jugeraient sa programmation pas tout à fait à leur goût. « Évidemment, c’est un problème pour moi qui suis sensible à l’inclusivité. Mon objectif n’est pas de faire un théâtre qui s’adresse seulement à la jeunesse… Je comprends qu’une partie du public désire découvrir ou redécouvrir un classique. Je m’efforce à ce que chacun trouve sa place au Théâtre de l’Union, avec une ligne aussi plurielle qu’enthousiasmante. » À l’entendre, on se demande si Aurélie Van Den Daele n’aurait pas dû postuler au poste de Premier ministre. Sa nomination aurait eu un certain panache.
Igor Hansen-Løve – www.sceneweb.fr
Les coups de coeur 2024 (dans le désordre) d’Igor Hansen-Løve
Absalon, Absalon !, d’après William Faulkner, mise en scène Séverine Chavrier
C’est l’œuvre d’une artiste qui cherche et finit par trouver ; une créatrice de mondes viciés traversés par un humour noir réjouissant. Rarement la prose de Faulkner aura été aussi ensorcelante.
Quichotte, d’après Miguel de Cervantes, mise en scène Gwenaël Morin
L’adaptation du plus célèbre des romans picaresques, avec Jeanne Balibar dans le rôle-titre. Une idée brillante, une réalisation poétique et l’une des plus belles surprises du Festival d’Avignon.
Memory of Mankind de Marcus Lindeen et Marianne Ségol
Un théâtre réflexif unique en son genre qui s’adresse autant à l’esprit qu’au corps. Marcus Lindeen et Marianne Ségol ont vraiment inventé quelque chose de neuf.
DÄMON. El funeral de Bergman d’Angélica Liddell
Une performance punk qui purge ses angoisses par la scène. Avec pour point de départ son amour pour Bergman, la prêtresse castillane cogne là où ça fait mal, et étrangement cela fait du bien.
Quartett de Heiner Müller, mise en scène Jacques Vincey
Stanislas Nordey et Hélène Alexandridis campent des monstres emprisonnés dans leur perversité et leur époque. Un spectacle qui ravit pour le jeu de ses immenses comédiens.
Et mention spéciale à Aurélie Van Den Daele pour son travail au Théâtre de l’Union.
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