« Vaisseau familles », la famille à réinventer
Pour sa nouvelle création, le Collectif Marthe s’attaque à la famille et à la possible réinvention au pluriel de son modèle nucléaire.
Fondé en 2017 par les comédiennes Clara Bonnet, Marie-Ange Gagnaux, Aurélia Lüscher et Itto Mehdaoui – toutes devenues avec leur parcours au sein du collectif également autrices et metteuses en scène –, le Collectif Marthe déplie depuis sa création un travail autour d’enjeux féministes. Ce qui retient à chaque fois dans leur travail est leur façon de ne pas s’en tenir qu’à ceux-ci. Plutôt que d’occulter l’articulation du féminisme à d’autres schémas de domination, chacun de leurs spectacles s’attelle à relier cette question à l’analyse des structures, politiques comme sociales, qui régissent nos sociétés. Après son beau et stimulant Rembobinez sur la pionnière de la vidéo féministe Carole Roussopoulos – seul, par ailleurs, de leur spectacle centré sur une personne ayant existé –, le collectif se saisit cette fois de la famille. Mais, si l’on retrouve les qualités d’inventivité formelle et les soubassements théoriques féconds propres à sa démarche théâtrale, Vaisseau familles demeure en l’état encore inégal dans sa proposition.
Pendant que le public prend place dans la salle, les quatre comédiennes, vêtues de tenues mêlant les éléments de sport, les couleurs et motifs, vont et viennent tranquillement sur le plateau. Il se dit déjà un jeu d’hybridation entre leurs costumes contemporains, et bigarrés, et les éléments scénographiques : une massive armoire normande à jardin, un grand lit au sommier légèrement incliné avec force édredons, draps et coussins blancs, et deux portants situés de part et d’autre de la scène. Avec ces quelques éléments, enrichis de grandes voiles (faites de draps cousus entre eux) – qui seront autant géniaux voilages de bateau que rideaux de maison bourgeoise – et d’immenses broderies devenant univers de termites ou héritage familial –, l’équipe embrasse de multiples façons de faire famille. La pérégrination à travers l’évocation de différents fonctionnements selon les périodes historiques et les sociétés (humaines comme d’autres espèces) cheminant vers l’appel et la revendication à pouvoir choisir et réinventer sa et ses familles à loisir.
Vaisseau familles trouvant son origine dans des interrogations sur leur vie intime, la première prise de parole se fait directement et assez naturellement face public. Façon d’ancrer le spectacle dans une réflexion au présent, ce dialogue entre les quatre comédiennes permet aussi de fournir certains éléments sur leur cheminement et quelques sources – les spectacles du collectif étant écrits autant à partir d’un travail au plateau que d’une collecte de matériaux divers et de lectures d’ouvrages théoriques. De cette introduction à l’adresse inclusive, l’équipe enchaîne vers une scène de fiction mimant un mode de vie moyenâgeux. Et c’est ainsi que l’ensemble de la création se déploie, dans un tissage (plus ou moins habile) de séquences jouant des écarts entre les époques, les registres de jeu, les types d’adresse, les bascules d’une atmosphère et d’un univers scénique à l’autre. L’on part du Moyen-Âge pour arriver aux années 1990 – la décennie de leur enfance respective – et voguer, même, vers des structures d’autres espèces animales. Là où toute une première partie assume de façon très lisible la mise en exergue des éléments didactiques – permettant d’appréhender l’évolution historique de la structuration de la famille dans la société française – en regard des saynètes fictionnalisées, la suite du spectacle atténue les écarts entre ces éléments.
Pour autant, et paradoxalement, les coutures d’écriture semblent de plus en plus visibles. Les séquences se succèdent avec plus ou moins de fluidité et, au soir de la première au Théâtre de la Bastille, l’interprétation se révélait parfois trop en force, comme si les comédiennes surinvestissaient le jeu à défaut de parfaitement maîtriser l’articulation de leur propos. À cette réserve s’en ajoute une autre : celle des taches aveugles dans le discours – pourtant fort bien documenté. Il existe, comme le rappelle et le défend le Collectif Marthe, de multiples façons de faire famille, qu’il s’agisse de celle dont on hérite comme de celle que l’on se choisit. Mais en omettant d’aborder, voire même seulement de citer nommément certains termes et cas, tels que l’adoption, les familles homosexuelles ou monoparentales, ou le choix de ne pas avoir d’enfant (pour ne citer que cela), et en passant très rapidement sur toutes les violences que génère la famille nucléaire hétéropatriarcale, le collectif maintient son propos dans une vision au final assez restrictive et volontairement très aimable.
Vaisseau familles laisse ainsi, en l’état actuel, par ses ellipses et angles morts, un sentiment en demi-teinte. Reste néanmoins un travail puissant en ce qu’il fait théâtre, qu’il s’agisse de l’énergie collective et de la qualité d’interprétation – et c’est peu de dire à quel point l’énergie collective se sent dans le cheminement au diapason des comédiennes –, comme de l’aboutissement de la proposition scénique. De la séquence de la reine des termites à celle de la famille bourgeoise du XIXe siècle, jusqu’au départ final en vaisseau, l’intelligence et l’inventivité très ludique des artifices scéniques – déployant avec une modestie de moyens une infinie poésie et myriade d’images – confirment la belle créativité de l’équipe.
caroline châtelet – www.sceneweb.fr
Vaisseau familles
Mise en scène, jeu et écriture Clara Bonnet, Marie-Ange Gagnaux, Aurélia Lüscher, Itto Mehdaoui
Accompagnement mise en scène et direction d’actrices Nelly Pulicani
Regard dramaturgique Leïla Adham
Stagiaire dramaturgie Mia Rambaldi
Regard chorégraphique Cécile Laloy
Scénographie Lucie Auclair
Création silhouettes et postiches Cécile Kretschmar
Création costumes Léa Gadbois-Lamer
Régies générale, lumières et plateau Clémentine Pradier
Création lumières Maureen Bain
Régies son et plateau Camille Lazar
Direction de production et diffusion Florence VerneyProduction Collectif Marthe
Coproduction MC2 : Grenoble – Scène Nationale ; La Comédie de Clermont-Ferrand – Scène Nationale ; Théâtre de la Croix-Rousse ; Théâtre de la Bastille ; Théâtre des Îlets – CDN de Montluçon ; La Passerelle – Scène Nationale de Gap ; La Maison du Théâtre d’Amiens ; Le Centre Culturel de la Ricamarie
Avec le soutien de la DRAC Auvergne-Rhône-Alpes, la Région Auvergne-Rhône-Alpes, la Ville de Saint-Etienne, du Département de la Loire, du Département du Val de Marne, de Loire en scène, du Théâtre Jean Vilar de Vitry et de Théâtre Ouvert – CDNC
Accueil en résidence dans tous les théâtres coproducteurs nommés ci-dessus, ainsi qu’à Théâtre 13 et au Théâtre Populaire de Montreuil – CDNDurée : 1h30
Théâtre de la Bastille, Paris
du 27 mars au 10 avril 2025Théâtre de La Croix-Rousse, Lyon
du 15 au 17 avril
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