Cartographie du paysage fouillis des sentiments amoureux, Buster my love dessine de nouveaux rapports à travers les invariants du désir. Porté par deux jeunes artistes intrépides, Sarah Delaby-Rochette et Elise Martin, le spectacle enchevêtre références de millennials, vrais-faux fantômes et persistance du tradi afin d’esquisser une suite à nos histoires d’amour.
Voilà un titre qui égare. Que nous annonce donc Buster my love ? Un hommage à Buster Keaton, l’immense clown du cinéma muet ? Non. Une déclaration d’amour aux bustiers qui sculptent les poitrines dans les robes de bal ? Voyons donc. Des recettes, voire des applis pour booster sa vie amoureuse ? Rien de tout cela, en fait, mais simplement de l’amour. De l’amour pour un cheval nommé Buster dont on entend parler par-ci, par-là, notamment quand le personnage de Calamity Jane vient clore le spectacle. Ainsi va Buster my love, proposition échevelée, bien barrée, de deux jeunes femmes à qui l’on donnerait volontiers le Bon Dieu sans confession : au grand galop et dans tous les sens. De références de millennials en délires mêlant heroic fantasy, littérature lesbienne et Marguerite Duras, Sarah Delaby-Rochette et Elise Martin composent un patchwork « à la Varda », annoncent-elles, qui fait monter au plateau les contours générationnels de nouvelles manières de vivre le désir et l’amour. Au risque de s’y perdre, le spectateur y est invité à parcourir une toute nouvelle cartographie de la vie sexuelle et sentimentale.
Quand il pénètre dans la salle, il est d’ailleurs attendu par les deux conceptrices et actrices du spectacle qui patientent sur scène. Fausses pistes encore. Avec leurs visages encore adolescents, elles frappent par leur jeunesse, et on les verrait sans problème sur les bancs de l’université. Malgré un certain vécu dans le monde du spectacle, en pantalon et t-shirt à manches longues noirs, elles donnent l’air impressionné et fragile. Après une brève intro, la première partie démarre sur l’évocation de leurs désirs d’enfants et d’adolescentes. Avec peluches et autres jeux de construction, les deux jeunes femmes à l’air si sage se métamorphosent alors, racontent les polochons entre les cuisses, la découverte du porno sur l’ordi de la grand-mère ou la fascination pour l’érotisme trouble des histoires de vampire, récits d’heroic fantasy et autres Harry Potter qui ont imprégné leur génération. Rien de bien neuf, se dit-on quand même, même si l’on apprécie l’audace du récit, dans ce retour rétrospectif sur le bouillonnement sexuel des premières années, quand la conscience du bien et du mal, la honte et la culpabilité n’ont pas encore colonisé les esprits.
La deuxième partie se fait plus originale. Inspirée du récit de Carmen Maria Machado, Dans la maison rêvée (Christian Bourgeois Editeur, 2021), elle met en scène la relation toxique, comme on dit un peu trop aujourd’hui, de deux jeunes femmes – dont on se demande si ce sont leurs alter egos –, trouée des apparitions d’esprits frappeurs, comme on dit chez Potter, qui prennent la forme des fantômes de Marguerite Duras et de Yann Andréa. L’amour à la Duras, semble-t-il, n’en finit pas de fasciner, et la relation border entre le jeune écrivain et son illustre aînée devient ici l’outil d’une génération qui, même si elle se méfie des normes et autres processus de domination hérités des schémas patriarcaux, n’en reste pas moins en quête d’absolu, de désir inaltérable et autres rêves de passion intense. L’évocation du Peau de Dorothy Allison (Balland, 1999) vient compléter ce panorama d’une littérature qui traverse les âges, les territoires de désirs réinventés et dangereux, d’une libido – au sens large de désir vital – qui se réinvente en dehors des schémas traditionnels, mais n’en reste pas moins potentiellement transgressive et risquée.
La dernière partie en forme de western complète brièvement ce triptyque qui traverse, tel un poster d’ado constellé de collages, de photos et de citations en tous sens, l’univers référentiel et imaginaire de ces deux millennials. Plein d’humour et de fantaisie, d’autodérision autant que d’affirmation de soi, Buster my love fonctionne comme un road-trip théâtral bricolé qui dessine la naissance de nouveaux imaginaires sentimentaux. On ne sait pas bien où cela mènera encore, tant mieux, ce n’est qu’ainsi que l’on s’aventure, semble conclure le spectacle. Loin des portraits rétrogrades d’une génération qui serait devenue excessivement morale et pudibonde, en donnant la main à une grand-mère défunte et à des figures d’émancipation seventies, Buster my love montre clairement un chemin, esquisse un pont entre les générations qui mène, de toute évidence, à davantage de liberté.
Eric Demey – www.sceneweb.fr
Buster my love
Conception et interprétation Sarah Delaby-Rochette, Elise Martin
Scénographie Léa Tilliet
Conception vidéo et son Hugo Saugier
Lumière Bérénice Durand-Jamis
Collaboration artistique Marie Deporteer, Yasmine BertoinProduction déléguée Prémisses production
Coproduction Théâtre de la Croix-Rousse – Lyon ; Théâtre Paris-Villette
Soutien Paris Villette-Fragments 23 ; Montevideo – Marseille ; CENTQUATRE-PARIS ; Théâtre Gérard Philippe – CDN de Saint-Denis ; ENSATTUne maquette de ce spectacle avait été présentée à La Loge lors de Fragments #11.
Durée : 1h25
Athénée Théâtre Louis-Jouvet, Paris
du 16 au 26 octobre 2024
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !