Dans Mysterious Heart, la chorégraphe portugaise collabore avec l’ensemble de danse contemporaine allemand, qui embrasse son univers singulier, comique et étrange. Une atmosphère malsaine y plane, latente.
Des pantins étranges s’avancent dans la brume. Ils portent des tenues plutôt baroques, justaucorps, jupes et pantalons en tulle. Des fumigènes envahissent la scène, troublent leurs silhouettes. Ce tableau d’épouvante est signé Tânia Carvalho. Depuis la fin des années 1990, la chorégraphe portugaise déploie une esthétique souvent burlesque, mi-horrifique, mi-clownesque, où le vocabulaire classique prend des atours de possession démoniaque. Pour Mysterious Heart, elle dirige le Tanzmainz, ensemble de danse contemporaine du Théâtre d’État de Mayence en Allemagne. La compagnie s’était déjà frottée à la danse aux pulsions viscérales de Sharon Eyal dans Soul Chain (2018) et Promise (2022), rebelote avec cette nouvelle collaboration qui donne à voir un tableau expressionniste.
Too much, Tania Carvalho l’est volontiers. Elle n’hésite pas à faire grimacer ses interprètes, qui ont ici le visage barbouillé de traces bleues façon peintures de guerre, crient silencieusement, ont les yeux exorbités et une mine extatique. Elle n’hésite pas non plus à pousser les corps dans une tension extrême, où une base de technique classique – grands battements, arabesques temps levé, entrechats, sauts seconde – devient musculeuse et les ports de bras hypertendus. Le malaise plane. Doit-on voir dans ce ballet un bal baroque après une catastrophe nucléaire ? Un trip sous acide ? Des fées maléfiques affublées de justaucorps jaunes et de jupons bouffants ?
La gestuelle elle-même fait surgir la monstruosité, ici des grandes secondes de batraciens, là des marches aux jambes pliées, façon grand méchant d’un ballet classique, exacerbées par des faux ongles crochus. Ces gestes ne se déplient pas à l’unisson, mais en phrases indépendantes, tenant les interprètes bien répartis dans l’espace ou les collant les uns contre les autres, évoquant de loin un tableau du Flamand Jérôme Bosch. Cette ambiance comico-macabre est renforcée par la création sonore, d’abord percussive, puis plus mélodique, agrémentée du chant de Tânia Carvalho. Si la chorégraphe parvient à installer une atmosphère si singulière, la dramaturgie est flottante, comme si elle ne parvenait jamais à prendre son envol malgré plusieurs fulgurances, dans les sauts et l’amplitude de certains gestes. Rien ne décolle vraiment et tout attend. On croirait que cette communauté inquiétante guette l’Apocalypse qui peine à arriver.
Belinda Mathieu – www.sceneweb.fr
Mysterious Heart
Chorégraphie Tânia Carvalho
Avec Elisabeth Gareis, Daria Hlinkina, Amber Pansters, Maasa Sakano, Milena Wiese, Wei-Cheng Shao, José Garrido, Federico Longo, Matti Tauru, Lin Van Kaam, Thomas Van Praet
Composition musicale Diogo Alvim
Costumes Lucia Vonrhein
Lumières Anatol Waschke
Directrice des répétitions Natalia Rodina
Directrice de production Lisa Besser
Adjointe à la direction de la danse et tour Manager Hannah Meyer-Scharenberg
Assistante à la direction de la danse Julia Kraus
Régie plateau et son Luka Curk
Régie lumière Dominik Hager
Régie générale Matthew Tusa
Direction du tanzmainz Honne DohrmannProduction Staatstheater Mainz
Durée : 50 minutes
Vu le 21 septembre 2024 au Théâtre Olympia, Arcachon, dans le cadre du festival Cadences
Théâtre de la Ville, Paris
du 25 au 28 septembre
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