Présenté en ouverture du Festival TransAmériques (FTA), le spectacle Nigamon/Tunai réunit Émilie Monnet et Waira Nina. Dans un esprit de solidarité visant à mettre en lumière les défis communs rencontrés par les communautés autochtones du nord et du sud, elles invitent le spectateur à entendre le « chant » de la Terre et des éléments qui la composent.
Nigamon/Tunai est d’abord une histoire d’amitié et de d’entraide. Les deux créatrices, qui sont aussi les principales actrices du spectacle, sont amies depuis une vingtaine d’années. Elles présentent à travers cette œuvre le résultat d’une recherche au long cours qui a déjà fait l’objet d’un laboratoire au festival l’an dernier. Pour l’occasion, le Théâtre Espace GO sur le boulevard Saint-Laurent, est transformé en forêt. De nombreux arbres, mares et rochers sont répartis sur le plateau. Le public est invité à y prendre place sur des bancs et des coussins, autrement dit à s’immerger dans ce tout qui constitue la nature et dont l’humain (spectateur compris) est un élément.
L’atmosphère visuelle est perfectionnée par l’environnement sonore : dès l’entrée du public dans la salle, les comédiennes sont déjà sur scène en train de jouer de l’un des instruments imaginés pour la pièce par Leonel Vázquez, une sorte de cerceau de cuivre rempli d’eau qui imite le bruit du vent. Tout au long de la représentation, on ne cessera d’être surpris par ces objets : goutte-à-goutte qui tombe sur les lamelles de kalimbas et guimbardes métalliques plongées dans un canot remplit d’eau. Le liquide prend ainsi toute son importance à travers l’image et le son.
Tout cela contribue à installer une ambiance mystique. Au cours du spectacle, on n’a d’autre choix que d’être en méditation. Le territoire, dans sa dimension physique comme symbolique, est central dans la pensée de la plupart des peuples autochtones. Émilie Monnet et Waira Nina, de par leur geste dans cet environnement forcément surprenant, assoient une dimension sacrée sur le plateau.
Chaque élément qui compose la création (des roches aux ruisseaux) porte en lui les revendications des communautés respectives des créatrices (Anishinaabe et Inga). Mais elles ont pour ambition d’aller plus loin encore. La parole est laissée à toutes les communautés qui voient leurs terres meurtries par la folie capitaliste. Le peu de mots de la représentation met en lumière les problèmes de façon crue : le bruit des tronçonneuse vient faire tomber des arbres et quelques témoignages diffusés évoquent la destruction des terres à cause de l’exctractivisme forcené poussé par la nécessité de trouver toujours plus de cuivre, notamment pour construire des voitures électriques.
La profondeur symbolique de Nigamon/Tunai, surtout dans les parties qui ne sont pas parlées, pourrait parfois donner un sentiment de frustration aux non-spécialistes. Le spectacle nous renvoie à notre propre ignorance et souligne aussi notre distance, volontaire ou non, par rapport à ces peuples. Notre regard détourné a pourtant des conséquences dramatiques qui apparaissent au fil du drame qui se déroule. Tout cela sans violence ni invective puisque l’évidence est trop lourde pour être soulignée par de quelconques artifices. Mais ne faut-il pas être mieux informé afin de pouvoir à son tour se révolter ? Quand on sort de l’Espace GO, on n’arrive pas à mettre de côté ce que Nigamon/Tunai raconte : les revendications portées par cette création sont simples, les problèmes sont identifiés, alors pourquoi l’exploitation et la destruction continuent ?
Ce spectacle est très différent de celui qui a introduit Émilie Monnet au public du Festival d’Avignon l’an dernier. Alors qu’on se souvient d’une Marguerite : le feu très vocale, active et colorée, Nigamon/Tunai présente la face calme et profonde de l’artiste canadienne. Une création émouvante sur le traitement de la nature par les humains, sur les solutions qui ne pourront naître que de la solidarité et de la connaissance vis-à-vis peuples concernés.
Hadrien Volle — www.sceneweb.fr
Une production de Productions Onishka
Texte, mise en scène et interprétation : Émilie Monnet + Waira Nina
Collaboration à la mise en scène : Sarah Williams
Dramaturgie : Yohayna Hernández
Assistance à la mise en scène et régie générale : Wanderson Santos
Vidéo : Mélanie O’bomsawin
Scénographie : Julie-Christina Piché
Assistance aux accessoires : Mayumi Ide-Bergeron
Scénographie sonore : Leonel Vasquez
Conception musicale et sonore : Frannie Holder
Spatialisation sonore : Frédéric Auger
Collaboration aux chants : Esmeralda Vasquez
Lumières : Chantal Labonté
Costumes : Yso
Maquillage et coiffure : Julie Cusson
Direction technique et régie son : Samuel Thériault
Direction de production : Cynthia Gosselin-Bouchard
Regard extérieur et consultation aux protocoles : Floyd Favel (Nord) + Luciano Mutumbajoy (Sud)
Recherche : Véronik Picard
Avec les voix pré-enregistrées de taita Luciano Mutumbajoy + Sonia Mutumbajoy + Yolanda + Jacanamijoy Mutumbajoy + Charito Chikunque + Amanda Roy + Sharon Day + Eudosia + Anik Sioui + Alanis O’Bomsawin-Galand + Élouan O’Bomsawin-Galand + Aja-Eyal Ferron + Sophie Gionet-Santos
Traduction : Cleo da Fonseca (vers le portugais) +Elisabet Rafols (vers le français, l’anglais et l’espagnol)
Direction de l’administration Onishka : Kimberly Guillaume
Direction des communications Onishka : Jean-Matthieu Barraud
Diffusion : Cusson Management & La Magnanerie MAG.I.Coproduction Festival TransAmériques
Avec le soutien de ESPACE GO
Développé avec le soutien de Fonds national de création du Centre national des Arts (Ottawa) + Fondation Cole (Dialogues interculturels)
Soutien au surtitrage : Fondation ColeRésidences de création Indigenous : Dramaturgies Circle – Banff Centre for Arts and Creativity + Centre dramatique Kokolampoe (Saint-Laurent du Maroni) + Centro de Escucha (Sibaté)
ONISHKA reçoit le soutien de Conseil des Arts du Canada + Conseil des arts et des lettres du Québec + Conseil des arts de Montréal + Fonds national de création du Centre national des Arts (Ottawa) + Fondation Cole
Création à ESPACE GO, le 14 mai 2024
Durée : 1h25
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