Avec Vivantes, la Relève de Radio Live, Aurélie Charon et Amélie Bonnin remettent le couvert avec le portrait de trois jeunes femmes originaires d’Ukraine, de Syrie et de Bosnie. Inédite, la forme donne du corps et de la perspective au principe de l’interview. L’ensemble est d’une justesse et d’une pertinence éclatante.
Elles viennent d’Ukraine, de Syrie, de Bosnie. Elles ont entre trente et quarante ans. Elles ont connu la guerre, l’exil, l’impact de l’Histoire sur leurs vies. Elles se nomment Oksana Leuta, Hala Rajab, Ines Tanovic. Elles ne se connaissaient pas. Elles se sont rencontrées via Aurélie Charon, par ailleurs productrice à France Culture, à l’origine, avec Amélie Bonnin (par ailleurs réalisatrice et dessinatrice) de cette forme scénique inédite qui invite la radio au théâtre : Radio Live essaime depuis plus de 10 ans ces paroles venues de loin, ces récits que l’on n’a pas l’habitude d’entendre, met en présence des personnalités frondeuses et courageuses, donne voix à une jeunesse active et debout, reflet d’une génération qui se (dé)bat avec les entraves, la censure, les conflits. Radio Live est une arche de Noé. L’écho puissant du monde à travers ses habitants. De la radio qui prend corps et s’incarne dans des images filmées, des dessins en direct, des regards qui se soutiennent et la magie de l’écoute qui confère à chaque prise de parole sa valeur de témoignage. Les invité.es de Radio Live sont des témoins du monde. De notre monde. Depuis quelques années, si la forme n’a pas fondamentalement changé, elle s’est renouvelée. Intitulée La Relève, cette nouvelle version du dispositif inclut désormais des images filmées de l’entourage familial proche, afin d’élargir la visibilité aux autres générations, passées et futures. Ce qui se joue alors, dans le rapport scénique entre présence au plateau et personnes à l’écran, ce sont les liens de transmissions qui nous traversent.
Avec Vivantes, nouvel épisode de la Relève, focalisé sur la relation mère-fille autant que sur la question de l’engagement, nous entrons en contact avec trois histoires à la fois individuelles et collectives, trois pays traversés de guerres, trois réponses aux situations extrêmes subies. Sur un écran géant qui tapisse le fond de scène, les images filmées lors d’un voyage collectif qui les réunit toutes à Sarajevo alternent avec des images à domicile, dans la ville, le quartier, la maison de chacune. Tandis que sur un écran vertical en avant-scène ce sont des portraits des jeunes filles qui défilent. Le procédé est admirable. Il parvient largement à dépasser le contexte de l’interview radiophonique pour le déployer visuellement et organiquement dans l’espace scénique. Les paysages urbains tantôt quotidiens, tantôt dévastés par les bombardements, présents ou passés, les appartements des unes et des autres contextualisent l’intime et la géographie en même temps. On voyage sur place, on part sur leurs traces. On s’approche et on s’attache. On comprend mieux aussi, on découvre, on apprend. Et le dialogue qui est la base du projet, son amont et son pendant, se répand jusque dans la salle quand les intervenantes prennent à parti le public avec des questions franches, belles, essentielles.
C’est là toute l’importance de cette proposition hors des sentiers battus, de ce théâtre documentaire inédit : faire advenir une parole libre et sécurisée, à rebours des discours officiels et politiques, une parole sincère et transparente qui se partage à cœur ouvert. Et lorsqu’on réalise que « relève » est l’anagramme de « révèle », c’est une révélation. Cette jeunesse qui est la relève se révèle à nous sans fard mais avec son fardeau, elle se raconte jusque dans ses problématiques identitaires, elle se dévoile autant à travers ceux qui ne sont plus là, les pères qui ont succombé, qu’à travers les sœurs ou cette petite nièce exilée, plus si petite, qui pour grandir a besoin aussi de reconnecter avec ses racines. Comment parler de la guerre aux enfants ? A cette question le réalisateur Danis Tanovic, cousin d’Ines, multi primé pour son film No Man’s Land répond à sa façon. Car il n’y a pas de mode d’emploi, de solution, il n’y a que des convictions personnelles, des intuitions. Et nos trois femmes déterminées l’incarnent avec panache.
Discrète mais d’une concentration et d’une attention de tous les instants, menant l’échange, traduisant parfois, Aurélie Charon, habituée du micro et proche de son sujet, interroge tour à tour et avec la finesse qu’on lui connaît les trois femmes face à elle, qu’elle fréquente maintenant depuis plusieurs années, familière de leur parcours autant que de leur personne. A ses côtés, Gala Vanson, penchée sur sa tablette graphique à cour, dessine en direct, apporte sa touche, et ses illustrations délicates se superposent en pointillé aux images filmées tandis qu’en fond de scène, Emma Prat à la composition musicale, intervient en ponctuation, respirations poétiques qui viennent alléger le trop plein de réalité, libérer l’émotion retenue aussi. Car, inutile de le cacher, ces récits sont bouleversants, ils forcent le respect et nourrissent l’espoir. En plusieurs langues, Emma Prat chante en s’accompagnant à la guitare ou aux machines et sa voix est d’une beauté indicible. Cette présence musicale en live prolonge à raison les références musicales qui parcourent ces vies intranquilles. De Fairuz à Nirvana, la musique apparaît pour chacune comme une fenêtre sur le monde extérieur, la possibilité de s’y connecter et de s’échapper.
Ces portraits de femmes impressionnantes d’engagement, de détermination et d’insoumission, ont la puissance immédiate du réel, ils apparaissent dans la vitalité d’un échange qui déborde du plateau et ce dialogue, qui parcourt tout l’ADN de ce projet collectif et nomade, en est la pierre angulaire, la fonction première, la possibilité d’un « nous » et du vivre ensemble. On n’oubliera pas cette constellation de visages, si loin, si proches, nos prochains en somme.
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
Vivantes
Conception, création image et écriture scénique Aurélie Charon et Amélie Bonnin
Création musicale Emma Prat
Avec Gal Hurvitz, Oksana Leuta, Hala Rajab, Ines Tanovic
et la participation de Anna Leuta
Création visuelle live en alternance Amélie Bonnin, Gala Vanson
Musique live en alternance Emma Prat, Dom la Nena
Images Thibault de Chateauvieux, Aurélie Charon, Hala Aljaber
Montage vidéo Mohamed Mouaki, Céline Ducreux
Mixage Benoît Laur
Espace Pia de Compiègne
Régie générale, création et régie lumière Thomas Cottereau
Régie vidéo et son en alternance Vincent Dupuy, Samuel Favart-Mikcha, Benoît Laur
Direction de production Mathilde Gamon
Rencontres issues des séries radiophoniques et des voyages Aurélie Charon et Caroline Gillet
Production : radio live production
Coproduction : Chaillot – Théâtre national de la Danse, Bonlieu Scène nationale d’Annecy
Avec le soutien de la DRAC Ile-de-FranceA partir de 14 ans
Durée : 2h
Du 24 au 27 avril 2024
Théâtre de Chaillot19-20 juin 2024
Festival Latitudes Contemporaines – Lilledu 15 au 18 octobre 2024
TCI dans le cadre du festival Transforme22-23 novembre 2024
TNB – RennesDu 26 au 28 novembre 2024
Bonlieu, Scène nationale d’Annecy3-4 décembre 2024
Théâtre de la Croix Rousse – Lyon11-12 décembre 2024
Comédie de Valence18-19 décembre 2024
MC2 Grenoble28 mars 2025
Théâtre Paul Eluard – Choisy-le-Roi
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