Avec Le Nom des choses, Muriel Imbach explore le langage à hauteur d’enfants en combinant adroitement dimension poétique et philosophique. Aussi léger que profond, ce spectacle fantaisiste qui cultive l’étonnement avec discernement questionne notre besoin de nommer pour faire exister.
Cinq personnages sortis de nulle part découvrent un territoire, celui de la langue, avec une franche curiosité, un étonnement de tous les instants, un farouche besoin de savoir et comprendre. En tissant du lien entre le monde et les mots qui en sont la représentation, ils nous invitent à revoir les évidences, à questionner la pertinence des appellations, à observer le hiatus ou l’adéquation entre un nom et l’objet ou la personne qu’il désigne. Au début, il n’y a rien. Mais y a-t-il vraiment rien ? Du moins, ce commencement ressemble à l’origine de quelque chose, l’étincelle de la rencontre entre cinq personnes, un no man’s land neutre et vide. Un paysage étrange, comme un désert de cendres, un sous-bois sans arbres, un sol recouvert de confettis sombres, monticules de feuilles mortes ou décharge à ciel ouvert tapissée de poussière, c’est selon l’imagination de chacun.e. Toujours est-il que ce décor nous joue des tours pour le décrire tant il échappe à la représentation d’un lieu existant, d’un espace connu et répertorié dans la réalité.
Inventé de toutes pièces, il est le terrain de jeu idéal pour révéler ses secrets, livrer ses objets cachés à ces explorateurs de la langue qui se lancent dans des défis descriptifs et classificateurs. Un ballon, un balai, unCritique orange, un cochon en plastique rose, une fougère en pot, des bottes de pluie jaune, un tabouret, à moins que ce ne soit un pliant… c’est une constellation de choses qui sortent de terre, nous apparaissent dans toute leur matérialité et incongruité. Associé à chacune, un mot qui le désigne, l’identifie, le définit. Mais rapidement, des désaccords naissent, révélant diverses façons de voir les choses, diverses projections. Comment se comprendre quand les mots ne veulent pas dire la même chose pour les uns et pour les autres ? Question vertigineuse qui fait vaciller toute objectivité et vérité unique. Et pourquoi s’acharne-t-on à étiqueter, ranger, classer, mettre dans des cases et des boîtes ? N’est-on pas à l’étroit dans un seul prénom ? N’est-on pas plusieurs et différent au cours de sa vie et en fonction de qui nous regarde ?
Muriel Imbach réussit la gageure de s’adresser au jeune public avec un sujet aussi philosophique que poétique. Son spectacle, qui ne sous-estime pas l’importance de l’esthétique sur l’imaginaire, a le charme fou des premières fois, de l’émerveillement sans retenu, il est à l’image de l’élan des enfants vers le monde. La metteuse en scène suisse parvient à créer un univers singulier où tout découle du verbe, où chaque nom ouvre une porte, un hors champ, une histoire, où le son raconte autant que le sens. Jeux de mot, étymologie farfelue, associations d’idées, la partition avance à saute-mouton sans jamais nous perdre. Grâce à des interprètes d’une expressivité physique rayonnante, plein d’une énergie enfantine et d’un penchant pour l’humour assumé, on est suspendu à leur expérience langagière buissonnière. Mention spéciale à Cédric Leproust, grand échalas dégingandé aux allures de personnage de BD, corps électrique et comique, inénarrable et inoubliable dans ses colères et éclats. Mais tous, ils portent haut l’art des mots, philosophent avec entrain et partagent au plateau les abysses du langage et sa subjectivité phénoménale. Comment faire de la philosophie au théâtre ? Muriel Imbach a créé sa propre brèche, à mi-chemin de la poésie et de la fantaisie. Son spectacle est aussi ludique que réflexif et déploie ses questions dans une dynamique joyeuse et entraînante.
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
Le Nom des choses
Mise en scène et direction artistique Muriel Imbach
Au plateau Coline Bardin, Pierre-Isaïe Duc, Cédric Leproust, Fred Ozier et Selvi Pürro
Dramaturgie et collaboration artistique Adina Secretan
Création son Charlotte Vuissoz
Création scénographie Neda Loncarevic
Création costume Isa Boucharlat
Création lumière Antoine Friderici
Régisseurs tournée David Baumgartner et Stéphane Le Nédic
Directrice de production et de diffusion Joanne Buob
Chargée de communication Catia Bellini
Production La Bocca della Luna
En coproduction avec la Comédie de Genève (en collaboration avec le Théâtre Am Stram Gram) ; Le Reflet – Théâtre de Vevey ; Usine à Gaz, Nyon
Avec le soutien de la Ville de Lausanne ; Canton de Vaud ; Loterie romande ; Pro Helvetia – Fondation suisse pour la culture ; Ernst Göhner Stiftung ; Fondation Jan Michalski ; Corodis ; Pour-cent culturel Migros ; SIS – Fondation suisse des artistes interprètesA partir de 7 ans
Durée : 1h
Du 23 au 30 avril 2024
Théâtre Public de Montreuil
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