Pour son premier long-métrage destiné au cinéma, l’auteur et metteur en scène a décidé de s’approprier la toute dernière soirée de Jean-Baptiste Poquelin, jusqu’à en livrer une vision un peu trop personnelle.
17 février 1673. Pour la quatrième fois de suite, dans son antre du Théâtre du Palais-Royal, Molière brûle les planches dans le rôle d’Argan, cet hypocondriaque patenté qui, se croyant terriblement souffrant, se plie volontiers à tous les remèdes que ses médecins veulent bien lui donner. Malade d’opérette au plateau, Jean-Baptiste Poquelin est, en réalité, au crépuscule de sa vie. En dépit de son état de santé fébrile, causé par une affection pulmonaire, il décide de jouer, envers et contre tout, pour ne pas lâcher les comédiennes et comédiens de sa troupe, dont la renommée et les finances personnelles reposent sur ses seules épaules. S’il ne meurt pas sur scène, contrairement à ce que la légende raconte, Molière est, malgré tout, victime d’un malaise durant la représentation, et décède, chez lui, quelques heures plus tard. Pour son premier long-métrage destiné au cinéma, l’auteur et metteur en scène Olivier Py a décidé de s’emparer de cette funeste soirée, et d’offrir une plongée dans les derniers instants de celui qui ne tardera pas à devenir le plus célèbre des dramaturges français.
Contrairement à Julie Deliquet qui, dans Jean-Baptiste, Madeleine, Armande et les autres, s’intéressait à la vie de la troupe plus qu’au destin d’un homme, ou à Arthur Nauzyciel qui, avec sa version testamentaire du Malade imaginaire, restait fidèle au texte d’origine, Olivier Py a choisi de s’approprier le soir de cette vie hors norme, et d’en livrer une vision qui, tout en restant crédible, s’avère très personnelle. Au long d’un plan séquence unique, il navigue du plateau, où la pièce sert de modeste de fil rouge, aux étroites coulisses, en passant par la salle, où le tout-Paris, à l’exception notable du Roi, est présent. Le réalisateur montre alors le petit théâtre des existences dans le grand théâtre qui se joue, avec son lot de masques, de faux-semblants, d’intrigues et de coup de Trafalgar. Tandis que le public n’est, conformément à ce qui se passait à l’époque, pas des plus attentifs, et que certaines spectatrices mondaines n’en finissent plus de persifler, la troupe de Molière se divise et se pose, alors même que son patron n’est pas encore passé de vie à trépas, la question de son devenir et de son éventuelle fusion avec la troupe ennemie de l’hôtel de Bourgogne. Des trahisons et des fidélités qui irriguent aussi les frasques amoureuses de Jean-Baptiste Poquelin, plus intéressé par les charmes du jeune comédien et bellâtre Michel Baron – également courtisé par le Duc de Bellegarde – que par son épouse, Armande Béjart.
De saut de puce en saut de puce entre les différents étages du Palais-Royal, Le Molière imaginaire vogue alors de thématique en thématique et prend la forme d’un concentré de la fin de la vie de Molière, de la disgrâce royale à l’obsession pour la postérité de son oeuvre, jusqu’à en devenir un peu fourre-tout. S’il offre un effet d’enfermement qui sied particulièrement bien à la situation, où la marche vers la mort ressemble plus que jamais à un inéluctable aller sans retour, le plan séquence unique manque de naturel, et donne progressivement l’impression de se transformer en corset artistique et de confiner à l’exercice de style. Surtout, les dialogues imaginés par Olivier Py et Bertrand de Roffignac font, conformément à cette emphase chère au dramaturge et metteur en scène, le choix du lyrisme et de la théâtralité plutôt que du réalisme. Poussée dans ses retranchements, et dopée aux velléités queer du réalisateur, cette logique donne un côté artificiel à un film qui, s’il assume volontiers son coté fictionné, n’en repose pas moins, en théorie, sur des fragments de réalité.
Cette volonté d’appropriation, aux relents quasi autobiographiques, Olivier Py l’accentue encore avec une distribution qui fait la part belle à ses fidèles parmi les fidèles, des plus récents, comme Bertrand de Roffignac et Emilien Diard-Detoeuf, aux plus anciens, comme Céline Chéenne, Jean-Damien Barbin et Pierre-André Weitz. Toutes et tous se fondent avec aisance dans la fantaisie, qu’ils connaissent si bien, de leur réalisateur, mais Stacy Martin et Laurent Lafitte paraissent sous-exploités dans les rôles pourtant clefs d’Armande et Molière. Quand la première pâtit d’un personnage insuffisamment dessiné – en regard, notamment, de celui de Michel Baron sur lequel l’attention est sans doute un peu trop braquée –, le second ne réussit pas à donner une teinte particulière à Jean-Baptiste Poquelin qui, au-delà de son opiniâtreté professionnelle et personnelle, passe davantage pour un commandeur à terre, et diverti de ses priorités, que pour un l’incontournable chef de meute artistique qu’il était.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Le Molière imaginaire
Réalisation Olivier Py
Scénario Olivier Py, Bertrand de Roffignac
Avec Laurent Lafitte de la Comédie-Française, Stacy Martin, Bertrand de Roffignac, Jean-Damien Barbin, Emilien Diard-Detœuf, Gray Orsatelli, Céline Chéenne, Eva Rami, Pierre-André Weitz, Jeanne Balibar, Judith Magre, Dominique Frot, Catherine Morand
Son François Waledisch, Thomas Desjonquères, Judith Guttier, Martial de Roffignac
Décors Pierre-André Weitz
Costumes Yvett Rotscheid
Montage Lise Beaulieu
Premier assistant réalisateur Nicolas Guilleminot
Direction de production et de post-production Valérie Roucher
Scripte Caroline Steff
Régie générale Richard VeraProduction Atelier de Production
Produit par Thomas et Mathieu Verhaeghe
En coproduction avec 2L Productions, Memento Production
Distribution France Memento Distribution
Ventes internationales Playtime
Avec le soutien du Centre National du Cinéma et de l’Image Animée de Ciné +
Avec la participation de OCS
En association avec Indéfilms 11
Avec le soutien de La Région Provence-Alpes-Côte d’Azur en partenariat avec le CNC et de La Fondation BruDurée : 1h34
Sortie en salles le 14 février 2024
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