Donnée en appartement, la pièce du dramaturge et metteur en scène allie poésie théâtrale et fragments réels pour brosser le portrait d’une femme dont les traits ordinaires peuvent parler à toutes et tous.
Dans le silence des paumes est une proposition à contre-courant, comme il en existe peu parmi les 1666 spectacles présentés à l’occasion du Festival Off d’Avignon. La pièce écrite et mise en scène par Florian Pâque est donnée dans un appartement situé à proximité du Théâtre du Train Bleu et réservée à une petite quinzaine de spectateurs. Né grâce au soutien de La Poudrerie, la scène conventionnée « Art en territoire » de Sevran, à laquelle la compagnie Le Nez au Milieu du Village est associée, ce spectacle a, comme le veut la philosophie de ce lieu dépourvu de base arrière, déjà joué dans une trentaine d’appartements sevranais, mais aussi quelques écoles, pour aller à la rencontre de publics qui n’ont pas l’habitude d’aller au théâtre et les inciter à en franchir plus facilement les portes. Alors que la micro-assistance prend timidement place sur les chaises et les canapés disposés en cercle dans le petit salon avignonnais, un fauteuil, installé dans un coin, capte immédiatement le regard et attire irrémédiablement vers lui. D’un vert sombre magnétique, il sert, dans la pièce qui va suivre, d’assise à Maryse, dont le fantôme est, au vu de cette curieuse et troublante attraction, peut-être déjà là, installé parmi nous.
Au soir de sa vie, Maryse est cette femme auprès de laquelle ses trois enfants se pressent pour ses derniers instants. Chacun à leur manière, Lelia et Colin sont bouleversés, mais leur demi-frère, Florent, apparaît encore plus affecté. Alors qu’il aurait rêvé que le tonnerre gronde dans le ciel en cette journée de malheur, il enrage de voir sa mère, dans un état semi-conscient, avec un léger sourire aux lèvres. Malgré leurs relations distendues, les trois membres de la fratrie vont unir leurs forces, et leurs souvenirs, différents et propres, pour reconstituer, et incarner, l’existence de la future défunte. Née à la fin des années 1950, Maryse est une femme de son temps qui, lors d’une soirée endiablée, rencontre Thierry sur la piste de danse. Entre les deux tourtereaux, l’entrevue tourne au coup de foudre. Rejetée par son père qui la traite de « putain », elle se marie avec son prétendant et a bientôt un, puis deux enfants avec lui. Dans ce milieu modeste où le salaire de plâtrier de Thierry peine, on le devine, à faire bouillir la marmite, Maryse rêve de devenir dactylo. À l’entendre, la jeune femme est douée, mais, le jour de l’examen, les pleurs continus de son bébé, installé à côté d’elle, l’obligent à renoncer. S’ensuit alors une série de petits boulots, de femme de ménage à vendeuse sur les marchés, de ceux, précaires, qui usent plus vite les corps que d’autres.
Bientôt, se dessine le portrait d’une femme forte et d’une mère courage qui, comme tant d’autres, ne s’est jamais écoutée et s’est sacrifiée pour le bien-être, et la réussite, de ses enfants. Commune, presque banale, son existence n’en est pas moins rare sur les plateaux de théâtre, où ces parcours dans les normes restent bien souvent dans l’ombre, invisibilisés, alors qu’ils peuvent parler à toutes et tous. Cette histoire, que ses enfants incarnent à tour de rôle, est entremêlée avec de vrais témoignages récoltés auprès d’habitantes et d’habitants de Sevran. Des ravages causés par les maladies professionnelles à la dureté du quotidien sur les marchés, en passant par les risques de burn-out, ils donnent à cette pièce une coloration plus politique et sociale, même si cet aspect, pour convaincre pleinement, mériterait d’être davantage approfondi et, peut-être, pris en charge par le texte lui-même.
D’une douceur, d’une affection et d’une subtile poésie, Dans le silence des paumes prouve que Florian Pâque, après Étienne A et Sisyphes, a véritablement trouvé sa voie, celle qui le place, et nous place, à hauteur de femmes et d’hommes pour voir comment ils sont façonnés, et parfois meurtris, par la société qui les entoure. Plutôt que de subir les contraintes liées à l’exercice difficile du théâtre en appartement, le dramaturge et metteur en scène en fait une force pour instaurer une ambiance intimiste qui amplifie la tendresse de son propos. À l’aide d’une scénographie légère, mais efficace, il parvient à utiliser la magie du théâtre pour poétiser le réel – à l’image de ces bouteilles de produits ménagers dotées de lumières intérieurs multicolores – et faire de cette rencontre théâtrale un corps-à-corps avec les comédiens. Dans le rôle du benjamin à fleur de peau, le jeune metteur en scène peut compter sur le talent de Nicolas Schmitt, qui campe un Colin terrien, et surtout de Loelia Salvador, remarquable de force et d’intensité retenues dans les habits de Lelia. Tous réussissent à donner une couleur à leurs personnages, mais aussi à faire exister Maryse qui, au sortir, apparaît alors comme une figure aussi singulière que familière.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Dans le silence des paumes
Texte et mise en scène Florian Pâque
Avec Loelia Salvador, Nicolas Schmitt, Florian Pâque, les voix de Elliot Gauthier-Aste, Héline Thomas, Delphine Cogniard, Théo Marlier, Anne-Isabelle Waechter, Fabienne Eggen, et la participation des habitant.es de Sevran
Créateur sonore Camille Vitté
Créateur lumières Hugo Fleurance
Costumes Jérémy VittéProduction Cie Le Nez au Milieu du Village
Coproduction La Poudrerie, scène conventionnée « Art en territoire » de Sevran ; Les Ateliers Médicis ; Cie Le Théâtre de l’Éclat
Soutiens DRAC Centre Val de Loire, Mairie d’Orléans, Spedidam
Partenaires Centre des écritures dramatiques Wallonie-Bruxelles, Résidence de Mariemont, Ad LibitumDurée : 1h15
Festival Off d’Avignon 2024
du 9 juillet au 14 juilletLa Poudrerie, scène conventionnée « Art en territoire » de Sevran
le 22 septembreFestival « La Mascarade », Nogent-l’Artaud
le 28 septembreAteliers Médicis, Clichy-sous-Bois et Montfermeil
durant la saison 2024-25
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