Dans un compagnonnage fertile, le metteur en scène Alain Batis, associé aux autrices Léonore Confino et Géraldine Martineau, aborde un sujet puissant par le biais du conte : les non-dits familiaux. Et tisse un spectacle d’une grande beauté, poétique et symboliste. L’enfant de verre use avec grâce de la fable pour mieux exprimer la complexité des liens qui nous (dés)unissent.
Un parterre de sable blanc et fin s’étale sur un sol noir. En fond de scène, des parois translucides qui masquent et dévoilent à la fois un arrière-plan sombre et inaccessible. Des lumières ondoyantes, tantôt bleutées, tantôt dorées, tantôt franches, tantôt rasantes, évoquent ici une tempête de bord de mer, là un lever de soleil sur un jour nouveau, l’éclairage d’un lustre séculaire couronnant la vie d’une famille de génération en génération ou l’antre chaude et caverneuse d’un souffleur de verre solitaire. A l’image de ce spectacle en clair-obscur, onirique et poétique, presque irréel, tissé d’un mélange de violence et de douceur, oscillant entre les atmosphères, festives ou délétères, insouciantes ou mortifères, la scénographie signée Sandrine Lamblin fait corps avec les enjeux d’une intrigue chargée de zones d’ombre et de mystère. Ecrin symbolique au destin d’une famille fragile et vulnérable, cousue de silence et de secrets, de déni, de défaillances et de refoulé, d’amour sincère et de liens indéfectibles. L’enfant de verre est le résultat d’une collaboration fine et complice entre le metteur en scène Alain Batis et l’autrice Léonore Confino, rejointe à l’écriture par Géraldine Martineau. Un trio aux commandes de ce spectacle délicat plein de fantômes et de cauchemars qui évoque au loin les dramaturgie symbolistes et scandinaves, Ibsen et Maeterlinck, et ces climats familiaux aux airs de prison calfeutrée.
Si le spectacle commence par la fin en une scène d’ouverture d’emblée irriguée d’une émotion paroxystique que l’on comprendra dans l’achèvement du récit, la pièce ménage ses révélations et distille avec parcimonie les enjeux d’une intrigue avançant à pas feutrés au grès de ruptures de rythme et de ton, de changement de lieux, d’échappées dans le passé pour mieux appréhender ce qui se joue au présent. Et petit à petit, dans ce puzzle reconstitué qui nous tient en haleine et pèse son poids d’héritage familial, le spectateur fait son chemin, comprend ce qu’il pressentait, découvre d’autres éléments et avance, tâtonnant, dans les méandres complexes d’une famille fusionnelle, asphyxiée par la répétition de traumatismes et les mécanismes de survie qui s’ensuivent. Si l’écriture démontre une finesse psychologique évidente et un ancrage concret dans la compréhension analytique du transgénérationnel à l’œuvre dans nos vies, la belle idée ici a été de ne pas opter pour une approche réaliste du sujet. En tirant l’histoire du côté du conte, dans ce royaume de verre où tout se brise sauf le silence, où les fondations familiales glissent et se délitent sur ce sable omniprésent, où le verre dit la fragilité et les fêlures des habitants de ce domaine, les autrices révèlent l’infinie capacité de la fable à nous renvoyer un miroir diffracté de notre humanité, tangente et tangible, sur le fil de nos failles et de nos forces, sans cesse traquant l’équilibre.
Alain Batis orchestre avec beaucoup de délicatesse ce ballet de scènes nuancées, il nous fait passer d’un espace à un autre (de la plage au château, de la chambre à coucher à la salle à manger…), changer de temporalité et d’ambiance sans que jamais on ne soit perdu, d’une fête de mariage au bord d’une falaise fouettée par le vent, d’une conversation intimiste à un règlement de compte général. Sa mise en scène épouse le texte et ses alcôves, ses situations à l’abri des regards et la représentation du bonheur familial, ses poussées de vérité et ses faux-semblants grinçants, enveloppée d’une partition musicale qui accompagne au plus près les changements d’états (création sur mesure de Cyriaque Bellot).
Au plateau, ils sont sept à porter ensemble ce récit ardent et tremblant, vertigineux et glaçant. Sept interprètes radieux, solides et subtiles, réunis autour de la grand-mère Anja (divine Sylvia Amato) et de la jeune Liv, notre héroïne dansante et pleine de vie (merveilleuse Blanche Sottou), empêtrée dans les filets familiaux et l’injonction tacite à se taire. En marge de ce foyer cabossé, un personnage sort du lot, poétique et visionnaire, le jeune souffleur de verre, le voisin par qui la parole se libère, celui qui dénoue les fils emmêlés, celui qui comprend les signes et pressent intuitivement la profondeur de la blessure. Incarné par Anthony Davy qui manipule également et donne voix à la marionnette du grand-père, il est un personnage clef, habité de sagesse dont chaque geste devant l’établi dit la précision d’une âme aguerrie à regarder au-delà des apparences. Pour mieux révéler à eux-mêmes les êtres qui l’approchent. Il est l’épiphanie de ce spectacle tout de grâce habillé.
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
L’enfant de verre
Autrices Léonore Confino et Géraldine Martineau
Mise en scène Alain Batis
Collaboration artistique Emma Barcaroli et Amélie Patard
Complicité dramaturgique Jean-Louis Besson
Avec Sylvia Amato, Delphine Cogniard, Laurent Desponds, Anthony Davy, Julie Piednoir, Mathieu Saccucci, Blanche Sottou
Scénographie Sandrine Lamblin
Musique Cyriaque Bellot
Costumes Jean-Bernard Scotto
Lumières Nicolas Gros
Perruques, coiffures et maquillages Judith Scotto
Conception et fabrication marionnette Malory Clément, Hélène Thomas, Thierry Desvignes, Thomas Gebczynski
Régie générale Nicolas Gros
Régie lumière Nicolas Gros, Noémie Viscera, Emilie Cerniaut
Régie son Garance Perachon Monnier
Production La Mandarine Blanche
Coproductions Espace Bernard-Marie Koltès de Metz Scène conventionnée d’Intérêt National écriture contemporaines, Espace 110 d’Illzach, le Théâtre Antoine Watteau Scène conventionnée de Nogent-sur-Marne, le Théâtre de Saint-MaurA partir de 12 ans
Durée : 1h35
Du 7 au 23 décembre 2023
Théâtre de l’Epée de Bois – CartoucherieTournée 2024
Mardi 9 janvier 2024
Maison des Arts du Léman de Thonon Les Bains (74)Vendredi 26 janvier 2024
Théâtre de Saint-Maur (94)Vendredi 2 février 2024
L’Espace 110 d’Illzach (68)Mardi 6 février 2024
Théâtre des 2 Rives de Charenton (94)Mercredi 14 février 2024
Théâtre Jacques Brel de Talange (57)Mardi 5 mars 2024
Centre des bords de Marne du Perreux-sur-Marne (94)Vendredi 8 mars 2024
Théâtre de Suresnes Jean Vilar (92)Jeudi 14 mars au vendredi 15 mars 2024
Espace Bernard-Marie Koltès Scène conventionnée de Metz (57)
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