Sous la houlette de Benoît Lambert, Emmanuel Vérité endosse une nouvelle fois les habits de Charlie pour rendre hommage, de façon aussi digressive que touchante, à son ami de toujours, récemment disparu.
Qui aurait pu croire que Charlie serait capable d’avoir la régularité d’un métronome ? À intervalles savamment cadencés, le personnage imaginé par Benoît Lambert et Emmanuel Vérité reparaît. Depuis CCCP ou Les Contributions de Charles Courtois-Pasteur, en passant par Meeting Charlie et Tout Dostoïevski, cet énergumène du quotidien, chemise hawaïenne invariablement vissée sur les épaules, n’en finit plus de disserter, histoire de partager avec le public sa poésie réconfortante, fondée sur des considérations, actuelles ou inactuelles, sensées ou farfelues, éclairantes ou obscures, à propos des accords et des dissonances d’une existence qui peut, sans que l’on ne comprenne tout à fait ni pourquoi, ni comment, faire écho à la nôtre. Sauf que, ce soir-là, au Théâtre du Verso de Saint-Étienne où il se produit, Charlie n’a pas le coeur au badinage. « La contribution que je vais faire devant toi ce soir elle est pour une occasion particulière », prévient-il, avec un air grave qu’on lui méconnaissait. Et l’homme de préciser qu’elle est « pour Bill », ce complice de l’ombre, cet ami de toujours, qui, comme il le fait de temps à autre, a disparu pour aller « cacher son âme tourmentée dans un endroit secret que lui seul connaît ». Cette disparition est-elle, cette fois, définitive ? On ne peut l’affirmer clairement car nul ne le sait vraiment.
Pour apaiser les maux intimes de son compère qui, habituellement, se charge du décor, Charlie se lance alors dans une cérémonie en forme d’hommage. Devant une simple table en bois transformée en autel, il convoque les quatre « chevaliers de l’Apocalypse » de Bill : le personnage de la mythologie irlandaise Cúchulainn, Charles Branson dans Il était une fois dans l’Ouest, Jésus avec un couteau entre les dents et le peintre Yves Klein en tenue de judoka. À chaque étape, et par l’intermédiaire d’objets divers, il lève le voile sur une partie de la personnalité de Bill qui, sous ses airs de « Hulk rouge », animé par des colères légendaires, se révèle être un homme complexe, abîmé par une enfance difficile, traversé par des croyances à la limite de l’ésotérisme et aussi terrien dans son comportement qu’aérien dans les folles pensées qui, parfois, le traversent et l’habitent. Avec son micro autour du cou, et cet amour de la digression qui le caractérise, Charlie s’adonne, à la manière d’un peintre impressionniste, à la confection d’un portrait où l’aura de son ami importe davantage que ses traits précis.
Son art de la nuance chevillé au corps, Emmanuel Vérité navigue avec une aisance déconcertante dans ce seul en scène en forme de tombeau théâtral. Alternant sourires inopinés et confessions touchantes, le comédien parvient à donner, tout à la fois, une profondeur et un caractère facétieux à celui qui, au fil des années, est devenu son double littéraire, celui à travers qui il est possible d’exprimer ce que la société, de plus en plus souvent, refuse d’écouter, voire même d’entendre. Si Bill se montre, comme à son habitude, parfois un peu trop bavard, si cet Évangile, au vu de son caractère digressif assumé, n’échappe pas à certaines longueurs, la présence du comédien et la complicité qu’il ne cesse d’entretenir, les yeux dans les yeux, avec ses spectateurs réussissent à capter l’attention, et quelques fois à cueillir grâce à la capacité, quasi-enfantine, de son personnage à s’émerveiller d’éléments apparemment insignifiants et à poétiser un monde dont il n’élude jamais les difficultés. Au sortir, on se surprend alors à imaginer ce que pourrait donner un tel hommage à notre endroit au moment de notre disparition, et à rêver qu’un être tel que Charlie s’en charge, avec la même lueur pétillante dans le regard.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
L’Évangile selon Bill
Conception Benoît Lambert, Emmanuel Vérité
Avec Emmanuel Vérité
Scénographie Antoine Franchet
Costumes Marie La RoccaProduction La Comédie de Saint-Étienne– CDN
Durée : 1h20
Théâtre Le Verso, Saint-Étienne
du 13 au 21 décembre 2023
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