Librement adapté de La Petite Sirène de Hans Christian Andersen, Loin dans la mer met en scène cinq comédien.nes de la Compagnie de l’Oiseau-Mouche. Dans une réécriture et une direction signée Lisa Guez, le spectacle aborde des motifs universels et remet au goût du jour son intrigue tout en revenant à sa source. Le résultat, sensible et émouvant, transcende les enjeux de différence liés au handicap de ses interprètes.
La troupe de l’Oiseau-Mouche a ceci de singulier qu’elle est constituée de comédien.nes professionnel.les en situation de handicap psychique ou mental. Elle existe depuis déjà plus de quarante ans et cette aventure au long cours est jalonnée de rencontres passionnantes avec des artistes du spectacle vivant, donnant naissance à des créations aux sensibilités et esthétiques à chaque fois différentes. Une aubaine pour les interprètes, sans cesse confrontés à des personnalités singulières, enrichis par leurs univers et méthodes de travail. Une aubaine pour nous qui voyons naître au fur et à mesure des spectacles éclectiques, allant chercher du côté des grands auteurs, de la danse, osant des dramaturgies contemporaines ou piochant dans le vaste répertoire des contes comme cela avait été le cas il y a de ça une petite dizaine d’années avec Un Stoïque Soldat de plomb.
Cette saison, place à la metteuse en scène Lisa Guez et son écriture de plateau au plus près d’une conscience féministe dans l’air du temps. Après un workshop avec la troupe autour du conte de La Petite Sirène, l’envie lui vient de continuer l’aventure et d’en faire un spectacle. Désir partagé par la compagnie. Les dés sont lancés et la vaillante équipe de se jeter à l’eau dans les vagues de la création et de plonger tête la première dans les profondeurs de la mer. L’histoire sied à merveille à Lisa Guez, familière et friande d’une matière première issue des contes qui lui permettent de se confronter à des récits archaïques, des mythologies anciennes, en les ramenant jusqu’à nous pour mieux en dégager les hiatus et les correspondances. Après Les Femmes de Barbe bleue inspirées par le conte de Perrault, après Celui qui s’en alla, inspiré par un conte de Grimm, c’est au tour d’Andersen de servir de terreau à cette nouvelle création.
Sur un plateau quasiment nu, constitué de quelques modules d’assise positionnés à l’avant et à l’arrière, les interprètes entrent de part et d’autre, viennent nous faire face en avant-scène, les yeux dans les yeux. Et s’adressent à nous le plus simplement du monde : « est-ce que vous êtes déjà tombés amoureux ? ». Un préambule en forme de prologue qui vient nous chercher dans notre vécu, dépose le leur à nos pieds avant de quitter le réel pour pénétrer la fable et ses abysses. Nul besoin de décor d’océan ni de costume à queue de poisson pour nous faire croire que nous sommes au royaume des fonds marins. Là est la vertu du théâtre, les choses sont dites et nous y croyons. Notre héroïne sirène porte un jogging et des converses, elle s’appelle Céleste (funambule et lunaire Dolorès Dallaire) et veut mettre des épices dans sa vie. La grand-mère est un comédien (magnifique Frédéric Foulon), un filet de pêche sur les genoux, elle « connait le secret des choses » et raconte des histoires de là-haut, du monde des humains, à la jeunesse aquatique qui l’écoute avec dévotion. La sorcière est une vamp en manteau de fourrure léopard et lunettes noires (délicieuse Marie-Claire Alpérine qui exprime sa large palette dans plusieurs rôles). Quant à Chantal Foulon, elle est bouleversante en sœur éplorée, déchirée de voir sa cadette partir.
L’histoire, on la connaît, le Walt Disney est passé par ici, édulcorant sa fin pour mieux conquérir le tout public et ne pas froisser les âmes sensibles. Lisa Guez revient à la source mais elle se permet aussi d’y intervenir, pénétrant la chair même de la narration pour jeter un pavé dans la mare quand la moutarde lui monte au nez. Pour qui se prend-il, ce prince à la vie facile, girouette inconstante, qui retire sa promesse tout juste après l’avoir donnée ? Et brise le destin de celle qui joue sa vie en l’épousant. Mais pour autant, se marier avec une femme que l’on n’aime pas vraiment, les pensées préoccupées par une autre, était-ce la solution ? Non. Kévin Lefebvre campe avec une belle sincérité ce prince aux prises avec ses sentiments contradictoires et ce tribunal improvisé qui s’insurge contre son comportement.
Si elle conserve la trame narrative originelle et rend grâce à sa dimension quasiment mythologique à coup d’airs classiques universels (Prokofiev, Schubert, Beethoven) qui en augmentent la force de frappe émotionnelle, Lisa Guez s’offre des libertés bienvenues et à propos, tordant le cou avec humour aux idées reçues. Depuis l’intérieur même du récit, elle en interroge le déroulé sans jamais perdre le fil de la fiction. La vraie question étant : Pourquoi cette jeune sirène est prête à sacrifier sa voix, sa famille, sa patrie et son indépendance pour suivre un inconnu aperçu une seule fois et sauvé du naufrage ? La légende, romantique et chevaleresque, devient, pour l’autrice et metteuse en scène, un véhicule pour l’imaginaire autant qu’un terreau de réflexion à son sujet. Sans quitter des yeux la fable issue de la culture populaire, elle lui injecte une dimension critique et questionne de l’intérieur la représentation de l’amour.
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
Loin dans la mer
Ecriture et mise en scène Lisa Guez
Avec Marie-Claire Alpérine, Dolorès Dallaire, Chantal Foulon, Frédéric Foulon, Kévin
Lefebvre, interprètes de la Cie de l’Oiseau-Mouche
Lumière, costumes et scénographie Sarah Doukhan
Créateur sonore Thomas Tran
Regard chorégraphique Cyril Viallon
Collaborateur artistique Alexandre Tran
Assistante à la mise en scène Dounia Brousse
Direction technique Greg Leteneur
Régisseur Baptiste Crétel, Julien Hoffmann et Grégoire Plancher (en alternance)
Production Compagnie de l’Oiseau-Mouche
Coproduction Compagnie 13/31, La Comédie de Béthune Centre Dramatique National,
Théâtre de la Ville – ParisA partir de 10 ans
Durée : 1h10
9 > 10 novembre 2023
Lieux Culturels Pluriels – Le Grand Sud Lille14 novembre 2023
Studio 4 Marquette07 > 09 déc. 2023 (dans le cadre du Festival Ad Hoc)
Le Volcan – Scène nationale du Havre Le Havre06 > 16 février 2024
Comédie de Béthune CDN / Itinérance Béthune14 > 15 mars 2024
Le Canal Théâtre du Pays de Redon Redon27 mars 2024
Conservatoire de la Baie de Somme Abbeville28 mai > 2 juin 2024
Théâtre de la Ville Paris
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