Présenté aux Plateaux Sauvages en partenariat avec le Théâtre de la Ville – Paris dans le cadre du Parcours Enfance & Jeunesse, Des Jambes pour une sirène marque un pas de côté chez l’auteur et metteur en scène Lazare qui se confronte, une fois n’est pas coutume, au jeune public, en adaptant à sa sauce, épicée bien évidemment, le célèbre conte d’Andersen, La Petite Sirène.
C’est à quelques jours d’écart que nous découvrons deux adaptations d’un même conte, La Petite Sirène d’Andersen, dans des réécritures pour le moins différentes mais contemporaines et rafraîchissantes, celle de Lisa Guez avec Loin dans la mer et celle de Lazare avec Des Jambes pour une sirène. Comme si les deux artistes se parlaient ou se répondaient par spectacles interposés, chacun proposant une version dépoussiérée qui pose à nouveau et de nos jours la question de l’amour. La Petite Sirène sacrifie sa queue de poisson pour une paire de jambes, elle quitte son pays, la mer, pour un autre biotope, la terre, à la seule fin de rencontrer et épouser celui qu’elle a sauvé de la noyade. Chacun de ses pas est une souffrance, et si elle marche, elle ne parle plus cependant. En effet, on le sait, elle abandonne sa voix qu’elle a superbe à la sorcière des mers en échange d’un aller sans retour vers l’horizon des hommes. C’est dire si elle y laisse des plumes. Ou plutôt des écailles. Mais le prince est un vaurien, il la repousse et pire, la réduit à être une bête de foire, la dompte comme un animal de compagnie gentil mais lassant. Et last but not least, en épouse une autre, aguicheuse et méchante. Censée disparaître à jamais et se fondre dans l’écume des flots, la petite sirène devenue femme et grande ne mourra pas ici, ses sœurs aquatiques donneront leurs chevelures chatoyantes en échange de sa vie sauve. Quant au prince moqueur et conquérant, « il s’en ira avec ses rêves sans connaître les secrets du miroir de l’eau ». Tant pis pour lui, il ne sait pas ce qu’il manque. Et sûrement passe-t-il à côté de l’essentiel.
On reconnaît là la plume toute en verve et en couleurs de Lazare, son aptitude à croquer des images, à greffer de la poésie dans le récit, cette écriture qui vagabonde et sursaute et créé des virages à 180°. Son style reconnaissable entre tous et pourtant imprévisible qui caracole comme un cheval fou, s’exprime en grand et s’exclame de tous ses sons et saute-moutons. Déjà, dans Cœur instamment dénudé, sa précédente création, il prenait l’amour à bras le corps en passant par le mythe de Psyché. S’adressant à des plus jeunes, il n’en continue pas moins son exploration à vif d’un motif aussi universel qu’intemporel. Et part du conte pour s’aventurer sur un territoire plein de magie, de chimères, de trouble et d’obscur. S’il garde l’intrigue, connue de tous, il y injecte sa patte, sa part, ses élans lyriques et obsessions thématiques, ajoute des personnages fantaisistes, pingouin, vers de terre, dragon imaginaire et quelques saillies écologiques sur le plastique. Les enjeux de l’histoire sont tous là, l’envie de grandir, l’appel de l’ailleurs et de l’âme, le choix fatal, la fascination, le rejet, et bien sûr, l’amour qui fait mal. Que l’on soit enfant, adolescent, adulte, impossible de ne pas être remué par ce qui est brassé dans cette narration éclatée qui retombe pourtant toujours sur ses pieds. Lazare est un poète de la scène et le prouve une fois de plus, il n’a rien perdu de ses fulgurances cataclysmiques, de ses circonvolutions mélodiques, de ses phrases qui se plantent dans le corps.
Au plateau, la scénographie est en mouvement perpétuel, elle épouse le tourbillon des mots, le remue-ménage des sentiments, les tempêtes intérieures et les vents violents qui malmènent l’océan. Déplacé par les interprètes mobilisés au maximum dans l’agencement de l’espace sans cesse reconfiguré, le décor est fait de bric et de broc, frictionne les références et stimule l’imagination. Ici un castelet géant avec balancelle épousant la marée, là, une vitre émergeant des vagues, des instruments de musique suspendus, un bateau qui tourne dans les airs, et cette robe de soie bleue vaporeuse qui s’étale en ondes maritimes au gré des gestes de la comédienne. C’est un ballet d’objets sonorisés qui emprunte certains éléments, une tête d’ours polaire, une figurine géante d’E.T l’extra-terrestre, à ses précédents spectacles. Quant aux sirènes, leurs queues de poisson sont des cerceaux de métal en spirales qu’elles s’harnachent à la taille ou aux épaules, protubérances lourdes et encombrantes qui symbolisent aussi le poids d’être une jeune fille (belle réalisation des costumes de Raoul Fernandez) et marionnettisent leur allure.
Tout.es chanteur.ses et musicien.nes, la joyeuse équipe non seulement accumule les rôles, – mention spéciale à Laurie Bellanca, fidèle des créations de Lazare et formidable interprète tout terrain, tour à tour la grand-mère, la sorcière, la rivale et une sœur sirène – mais également donne de la voix et musicalise en direct ce récit où le chant est prépondérant. Les sirènes ne sont-elles pas selon les mythes antiques, des chimères chantantes ? Et les spectacles de Lazare baignent toujours dans un environnement musical très présent. La rencontre des deux ressemble donc à une évidence, dans sa forme comme dans le fond. Les sources d’inspiration passent du coq à l’âne dans de joyeux réarrangements, de la mélancolie du thème du Roi et l’Oiseau joué à la flûte traversière à l’électricité du tube de Grease revisité. Une partition éclectique qui donne l’occasion de découvrir le plein potentiel d’Anaïs Defay et Léa Quinsac, nouvelles venues dans l’univers du metteur en scène. Les voix sont superbes, elles ondulent ou swinguent et donnent le tempo, et quand les enfants sont interpellés en pleine représentation, leur réaction est à la hauteur de l’énergie déployée sur scène. Généreuse, spontanée, intense.
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
Des Jambes pour une sirène
Texte et mise en scène Lazare
Collaboration artistique et coordination musicale Laurie Bellanca
Création lumière Philippe Ulysse
Régie générale Bruno Bléger
Costumes Raoul Fernandez
Scénographie accessoires Lucie Auclair
Construction Lucas Remon
Avec Laurie Bellanca, Anaïs Defay, Louis Jeffroy et Léa Quinsac
Un spectacle accueilli en partenariat avec le Théâtre de la Ville – Paris
Production Vita Nova
Coproduction Théâtre de la Ville – Paris, Le Grand T – Théâtre de Loire-Atlantique à Nantes, Théâtre des Îlets – Centre Dramatique National de Montluçon, La Passerelle – Scène nationale de Saint-Brieuc
Coréalisation Les Plateaux Sauvages
Avec le soutien et l’accompagnement technique des Plateaux Sauvages
Avec le soutien de La Fonderie – Le Mans
La compagnie Vita Nova est soutenue par le Ministère de la Culture – DRAC Île-de-France.
Administration et diffusion La Gestion des Spectacles – Les 2 BureauxDurée : 1h
A partir de 6 ansDu 20 novembre au 2 décembre 2023
Aux Plateaux Sauvages – ParisTournée
Du 4 au 9 décembre 2023 – Théâtre des Îlets, CDN de Montluçon
Du 14 au 15 décembre 2023 – Le Préau, CDN de Normandie à Vire dans le cadre du festival Les Feux de Vire
Du 21 au 22 décembre 2023 – Le Nouveau Relax à Chaumont
Du 18 au 19 janvier 2024 – La Passerelle, scène nationale de Saint-Brieuc
Du 8 au 10 février 2024 – La Soufflerie à Rezé, programmation Le Grant T, scène conventionnée Loire Atlantique
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