Dans sa nouvelle création, l’auteur et metteur en scène explore la question de notre utilité sociale et du burn-out à travers l’histoire d’un vendeur de frites.
Dans la petite salle du Théâtre des Célestins, à Lyon (Rhône), le regard est attiré par un rideau de fils scintillants comme des étoiles. Devant, une estrade accueille une petite construction tout en bois ; une baraque pour un seul homme faisant face au public. La lumière jaillit, la musique résonne, chef Loïc apparaît. « Mains grenailles, Nez pelé, Cœur patate ! », c’est un drôle de personnage qui se présente à nous et inaugure la nouvelle création du jeune metteur en scène Valérian Guillaume. A 29 ans, l’artiste en est à sa deuxième production. En avril dernier, il a déjà présenté l’adaptation de son premier roman, Nul si découvert (Ed. de l’Olivier, 2020), jouée notamment au Théâtre de la Cité internationale à Paris (14e). Valérian Guillaume revient cette fois-ci avec un autre de ses écrits, lauréat en 2021 du prix Célest’1 (ancêtre du prix Incandescences).
Voici donc Richard dans les étoiles, sorte de conte social sur la place que chacun occupe dans la société. En l’occurrence celle de Loïc, gérant d’une baraque à frites située dans une zone commerciale. Le jeune homme l’a héritée de son père et fait perdurer le savoir-faire tout en odeur et saveur de ce dernier, garantissant la haute réputation de la maison. A tel point qu’un aréopage de clients se bouscule chaque jour pour déguster les fameuses frites. Lesquelles s’accompagnent avant et après chaque commande d’un invraisemblable cérémonial quasi religieux.
Loïc détient la recette d’un mets addictif charriant son parterre de fidèles. Avec en premier lieu sa mère, incarnée par Giulia Dussollier, qui met un point d’honneur à ce que son fils serve chaque client, du premier au dernier, avec un égal sourire. Même le préfet est de ceux que l’on voit souvent. La baraque de Loïc est l’astre autour duquel gravite toute une communauté locale en mal de commerces où se retrouver. Alors, à coup de « bip » validant les commandes et de « bon appétit et surtout gardez la Frite ! », le chef distribue un peu de joie et crée du lien. Pourtant, cet enfant d’un père tant adulé a repris l’institution fritière sans grand enthousiasme. Aux pommes de terre, l’homme préfère les mots. Ceux que l’on chante ou que l’on dit. Ceux qui rendent libres. Hélas, dans cette baraque à frites où le flot de clients ne cesse jamais, même la nuit, Loïc s’éteint à petit feu.
Arrivé au bout du supportable, le jeune chef bascule dans un autre univers, le flash, sorte de marge où sa personnalité se dédouble, devenant Richard. Un écran situé en hauteur se substitue à la parole directe et déroule la pensée intérieure de ce nouveau personnage. Tandis qu’autour, dans le monde normal, le préfet, la mère de Loïc et tous les habitués sombrent dans une folie démesurée. Bientôt, des bâches en plastique posées au plateau se gonflent et se dégonflent comme les ventres des clients, engloutissant Loïc. Certains crient, expriment une colère forte. Tous veulent le retour de leur chef et ses frites comme des drogués en proie au manque.
Valérian Guillaume, qui incarne sur scène le personnage de Loïc et Richard, développe un univers loufoque, absurde, révélant en filigrane une réalité plus sombre. Entre 2017 et 2019, l’artiste a enquêté aux côtés du romancier Vincent Message sur le chômage en France, alimentant une réflexion autour du burn-out, en hausse continue dans notre société. Richard dans les étoiles en est une illustration frappante. Si le metteur en scène tâtonne encore à trouver la forme adéquate à cette pièce ambitieuse, la troupe de jeunes comédiens (Jules Benveniste, Raphaëlle Damilano, Lucie Gallo, Amandine Gay…) qui l’entoure sur le plateau démontre une énergie et un talent prometteurs. Expérimenter, affiner, et jouer une idée pour la faire grandir et aboutir, n’est-ce pas ça, au fond, la joie du théâtre ? Quitte à faire participer pour un temps le public des premiers soirs et enchanter ceux qui suivront.
Kilian Orain – www.sceneweb.fr
Richard dans les étoiles de Valérian Guillaume
Avec
Jules Benveniste, Raphaëlle Damilano, Giulia Dussollier, Lucie Gallo, Amandine Gay, Valérian Guillaume
scénographie James Brandily
costumes Nathalie Saulnier
dramaturgie Baudouin Woehl
régie générale, son et vidéo Margaux Robin
musique Victor Pavel
création vidéo Pierre Nouvel
création lumière Sylvain Séchet
assistanat à la mise en scène Mégane ArnaudProduction déléguée : Compagnie Désirades
Coproduction : Théâtre de la Cité internationale, Célestins – Théâtre de Lyon, La Comédie de Clermont-Ferrand – Scène nationale (dans le cadre des résidences)Avec le soutien : ARTCENA (au titre de l’aide à la création de textes dramatiques), CNSAD (Sciences Arts Recherche Création)
Valérian Guillaume est artiste en résidence de création et d’action artistique au Théâtre de la Cité internationale, de 2022 à 2025.
Valérian Guillaume a bénéficié d’une résidence d’écriture à La Chartreuse – Centre national des écritures du spectacle – Villeneuve-lez-Avignon et a reçu le soutien de la Région Île-de-France au titre de la bourse d’écrivain.Théâtre des Célestins, Lyon / CREATION
Jusqu’au 7 octobre 2023Théâtre Sorano, Toulouse
Les 24 et 25 novembre 2023Théâtre de la Cité internationale, Paris
Du 4 au 16 décembre 2023
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