Au Théâtre des Halles, à Avignon, Jean-Baptiste Sastre et Hiam Abbass adaptent avec force l’ouvrage de Jorge Semprún, rescapé de Buchenwald.
Leur regard fixe immédiatement l’attention. Dans la petite chapelle du Théâtre des Halles, à Avignon, ils sont quatre : deux hommes, deux femmes, faiblement éclairés, guettant le public qui s’installe dans les gradins. La prestation qu’ils s’apprêtent à livrer n’est pas de celles qui donnent le sourire à la sortie. Le sujet est grave, dur, mais essentiel. Avec L’écriture ou la vie, les comédiens et metteurs en scène Jean-Baptiste Sastre et Hiam Abbass signent une adaptation réussie et délicate de l’ouvrage éponyme écrit par l’Espagnol Jorge Semprún.
En 1994, l’écrivain, disparu en 2011, publie le témoignage de son expérience des camps de concentration, 50 ans tout juste après sa déportation à Buchenwald. Jorge Semprún envisageait déjà, peu de temps après la libération des camps, de raconter son histoire. Mais sous quelle forme ? « Raconter bien, ça veut dire : de façon à être entendus. On n’y parviendra pas sans un peu d’artifice. Suffisamment d’artifice pour que ça devienne de l’art ! […] La vérité que nous avons à dire […] n’est pas aisément crédible… Elle est même inimaginable… Comment raconter une vérité peu crédible, comment susciter l’imagination de l’inimaginable, si ce n’est en élaborant, en travaillant la réalité. Avec un peu d’artifice, donc ! », écrit-il.
Sous la voûte de la chapelle, Jean-Baptiste Sastre interprète admirablement les mots de Jorge Semprún. Le comédien en redingote noire et chemise blanche se tient debout avec, entre ses mains, un pupitre équipé d’une lampe révélant son visage dans l’obscurité. Face à lui, les pages de L’écriture ou la vie défilent et livrent minute après minute ce qu’a été l’horreur des camps nazis. Aucun décor ou presque n’habille la prestation des comédiens. Le texte suffit à confronter les spectateurs à l’un des pires épisodes de l’Histoire du XXe siècle. Comme pour laisser le temps à la matière d’infuser, le récit est entrecoupé de quelques pauses notamment lors des scènes de chant yiddish performées par Hiam Abbass. Le visage de la comédienne est dissimulé derrière un masque à la mine triste : l’effet produit est aussi beau que perturbant.
Il y a aussi Geza Rohrig, acteur et poète hongrois, qui prend le relai du récit de Jorge Semprún une fois venu le temps de la Libération. Le comédien témoigne dans sa langue sans que nous ne comprenions ses mots. La traduction de Jean-Baptiste Sastre vient à la suite, mais, déjà, le visage de Geza Rohrig évoque l’essentiel. On reçoit sa colère, son angoisse, sa tristesse ou ses espoirs sans pouvoir aucunement s’y soustraire. Derrière lui, dans un coin, se tient la seule des quatre que l’on n’entendra jamais. Son corps est enveloppé dans une couverture et semble résigné devant le drame qui entoure et condamne les déportés. Jean-Baptiste Sastre, Hiam Abbass et Geza Rohrig suggèrent, disent, sans affaiblir, ni surinterpréter, le témoignage qu’ils nous livrent. Le théâtre n’est ici pas un filtre qui vient modifier la portée du récit, mais au contraire une porte d’entrée grande ouverte vers la réalité éprouvée par Jorge Semprún : celle d’un homme ayant fait le choix, malgré tout, de la vie.
Kilian Orain – www.sceneweb.fr
L’écriture ou la vie
d’après Jorge Semprún
Adaptation et mise en scène Jean-Baptiste Sastre, Hiam Abbass
Avec Hiam Abbass, Caroline Vicquenault, Geza Rohrig, Jean-Baptiste Sastre
Scénographie Caroline Vicquenault
Création lumière Dominique Borrini
Création masques Erhard StiefelProduction Châteauvallon-Liberté, scène nationale
L’écriture ou la vie est publié aux éditions Gallimard.
Durée : 1h30
Festival Off d’Avignon 2023
Théâtre des Halles
du 7 au 26 juillet, à 11h (relâche les 13 et 20)Châteauvallon-Liberté, Toulon
Automne 2024
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !