Avec deux spectacles dans la programmation du 77e Festival d’Avignon, le dramaturge britannique s’est frotté au public français, qui découvre sa conception d’un théâtre imparfait, vivant et déroutant.
Confortablement installé sur un sofa, au milieu de décors et de costumes dans la loge de la Chapelle des Pénitents Blancs à Avignon, Tim Crouch, grand chauve, a des airs d’acteur shakespearien. En sueur, il vient de terminer son seul en scène Truth’s a Dog Must to Kennel, qui, comme à son habitude, explore les limites de la représentation. L’humour et la malice du metteur en scène anglais de 59 ans, formé à Bristol et désormais installé à Brighton, ne sont plus à démontrer. À l’image de ses pièces où il déjoue les codes du théâtre traditionnel en se mettant en scène, le Britannique continue de jouer la comédie en interview avec la presse, en s’amusant des attentes des journalistes. S’il donne rarement ce qu’on attend de lui, il offre finalement bien plus, en se livrant avec franchise, humilité et non sans facétie.
Star incontestée outre-Manche, Tim Crouch est peu connu en France. Peut-être est-ce lié à l’erreur de photographie sur Wikipédia ? Il s’amuse de découvrir un autre visage sur Internet : « Il est chauve comme moi. J’espère que cet homme est sympathique. Il en a tout l’air ! » Cet habitué des festivals de théâtre au Royaume-Uni, passé maintes fois au prestigieux Edinburgh Festival Theatre, n’est pas avare de compliments sur le Festival d’Avignon où il fut, lors de cette 77e édition, invité à jouer deux pièces, Truth’s a Dog must to Kennel et An Oak Tree : « Tiago Rodrigues est un pur génie et je suis ravi que l’anglais soit la langue invitée cette année », abonde le metteur en scène.
Acteur pendant de nombreuses années, il connaît bien les longues répétitions qui s’étalent sur plusieurs mois. En 2003, il se met à écrire ses propres pièces, notamment My Arm, pour repenser son rapport au théâtre et s’éloigne de tout ce qu’il a connu en tant que comédien. « Je suis à la recherche de la vie, du vivant, de quelque chose qui n’a pas été répété pendant six semaines, et qui ne sera jamais parfait. Je pense que le théâtre n’a pas être parfait, il doit être humain et les humains ne sont pas parfaits », explique-t-il. Conscient d’être parfois incompris, il s’attelle désormais à la rédaction d’un traité théorique sur sa conception du théâtre. Même s’il a pu décontenancer de nombreux spectateurs avignonnais, il est certain que son travail peut trouver une résonance en France, qu’il décrit comme « le pays des grands philosophes, le pays dans lequel le public n’a pas peur des idées et des concepts. »
À ceux qui le trouvent « trop british », il rétorque que son art parle à tout le monde, « car son théâtre, c’est la vie ». De son héritage britannique, il garde un humour bien à lui, pince-sans-rire, burlesque et parfois scatologique, ainsi qu’une fascination pour Shakespeare. « Mes parents étaient tous les deux professeurs d’anglais, j’ai évidemment baigné dans la langue du dramaturge. Son travail et sa langue sont conceptuels, comme mon travail. Ils évoquent des images dans nos esprits sans les montrer. Il utilise ses mots pour créer un espace, et c’est ce que je fais aussi. Je n’ai besoin de rien, d’une chaise et d’une table, tout se passe dans l’esprit du spectateur finalement. »
Tim Crouch déroute et déconcerte, à l’instar de l’étrange Truth’s a Dog must to Kennel, où il incarne le fou du Roi Lear avec un casque de réalité virtuelle, ou le surprenant An Oak Tree, où il devient hypnotiseur. Ce dernier spectacle prend chaque soir une nouvelle dimension, au gré des changements d’acteurs, qui découvrent le texte en même temps que le public. Victime malmenée par le metteur en scène, mais aussi partenaire qui se prend parfois au jeu, l’acteur devient « l’avatar du public sur scène », son double. Dans une subtile mise en abyme, la pièce donne à voir la souffrance et l’impossible deuil d’un père qui a perdu sa fille. Et, à travers des allers-retours entre le jeu et la réalité, elle parvient à mimer l’esprit déboussolé et désespéré du personnage. Une expérience troublante pour le spectateur, perdant totalement ses repères et qui, à l’instar du héros, doit accepter de se faire guider par Tim Crouch.
Malgré ses spectacles un poil ardus, Crouch est loin d’être un « fou aigri et plaintif ». On découvre au contraire un passionné, qui déclare vouloir laisser libre cours à l’expérimentation et aimer sortir des sentiers battus. La relation entre l’acteur et le public, qu’il voit comme un moment d’existence partagé éphémère, est d’ailleurs au coeur de sa démarche, intimement liée à la performance. Il refuse toutefois l’étiquette de destructeur du théâtre classique, qu’on lui a souvent collée, préférant celle de conteur : « Je raconte des histoires. Le théâtre n’est qu’une façon d’en raconter comme une autre. » Libre au spectateur alors de se laisser bercer, ou non, par ses paroles et sa diction si musicale et douce à l’oreille.
Chloé Bergeret – www.sceneweb.fr
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