Fruit d’un partenariat entre la SACD et le Festival d’Avignon, Vive le sujet ! retrouve son habituel écrin, le Jardin de la Vierge du Lycée Saint Joseph, avec une Série 1 qui confirme l’intérêt du dispositif. Les deux artistes invités, Auguste de Boursetty et Daniely Francisque, y présentent avec les binômes qu’ils se sont choisis des formes aux esthétiques éloignées. L’une déterre des secrets, l’autre crée de la force.
C’est avec deux noms peu connus en France métropolitaine que s’ouvre cette année Vive le sujet ! : Auguste de Boursetty et Daniely Francisque. À eux, comme à six autres artistes de champs disciplinaires divers, la SACD et le Festival d’Avignon ont comme chaque année depuis la création du rendez-vous en 1997 – sous le nom de Le Vif du sujet, devenu ensuite Sujets à vif – proposé de se choisir un partenaire pour la création d’une forme courte et légère, à la mesure du Jardin de la Vierge du Lycée Saint-Joseph entièrement dédié à ces rencontres, à leurs fruits souvent surprenants.
La grande différence entre les deux artistes de cette Série 1 dit bien l’esprit du dispositif, qui ne s’enrichit pas pour rien cette année du sous-titre Tentatives. En invitant des autrices et des auteurs d’horizons, de cultures, de langages variés, il tend à susciter des formes singulières, à la croisée de plusieurs disciplines et esthétiques. Auguste de Boursetty, formé aux arts plastiques et mêlant dans son travail danse, recherche sur le costume et sur le Moyen-Âge, se frotte au chant dans What will remain secret en prenant pour binôme la Polonaise Alex Freiheit du duo punk Siska. La comédienne et autrice martiniquaise Daniely Francisque, elle, mêle dans une forme qu’elle intitule Ampāwa ! sa poésie très physique à la musique de Mawogany.
S’il est fréquent de voir à Vive le sujet ! des artistes qui mettent en scène leur rencontre, allant parfois jusqu’à faire des contraintes de l’exercice l’un des motifs centraux de leur performance, les deux duos optent pour une toute autre approche. Ils font, et c’est là leur seul point commun, comme si partager la scène avec un artiste pratiquant un autre art était chose naturelle. Comme si le tête-à-tête, et même le corps-à-corps allait de soi. Auguste de Boursetty et Alex Freiheit se livrent pour cela à une partition entièrement gestuelle, presque acrobatique, qui les place tous les deux hors de leurs habitudes. Tous les deux filiformes, tous les deux jouant avec la frontière des genres et aussi habiles l’un que l’autre avec leur corps, les jeunes artistes – Auguste de Boursetty est né en 1995, Alex Freiheit est de la même génération –, ils déploient avec lenteur et intensité un vocabulaire commun. Ils s’approchent ainsi sans le réaliser tout à fait du rêve d’enfance d’Auguste, qu’il formule dans la feuille de salle : « Être un jour chanteur dans un groupe ». Lui et sa complice ont beau resté parfaitement muets du début à la fin de leur chorégraphie, ils exécutent celle-ci sur un poème qu’ils ont écrit et mis en musique ensemble.
Entre Auguste et Alex, que nous sommes beaucoup à découvrir avec ce Vive le sujet ! – le premier se produit surtout en Suisse où il vit, la deuxième entre la Pologne et l’Allemagne –, la magie a eu lieu. Au point qu’ensemble, dans What will remain secret, ils vont jusqu’à exhumer par l’écriture à quatre mains des secrets d’enfance dont on ne sait en les écoutant s’ils appartiennent à l’un ou à l’autre. Ce qui est sûr, c’est que de cette parole intime naissent des gestes, des figures, qu’ils réalisent avec la concentration que les plus jeunes mettent à leurs jeux. S’ils avaient chacun, avant Vive le sujet !, un double rapport au corps et au texte, le lien qu’ils font ici entre les deux est pour eux une surprise qui se sent à la joie mise à l’ouvrage.
Verbe épique et métissé
Rien de semblable dans Ampāwa !. Pour la comédienne Daniely Francisque, il est d’emblée évident que l’invitation qui lui est faite est plus l’occasion de poursuivre une démarche personnelle que de s’aventurer sur une voie nouvelle. Entrant sur scène avec un poids inidentifiable sur la tête, qui lui fait une sorte de masque, l’artiste entame un rituel où elle porte haut son verbe épique et métissé, entre français et créole, au service d’un combat qui est à l’origine de son choix du théâtre. Soit la revendication d’un être-femme et d’une identité frontalière, complexe – née en Martinique, elle est venue étudier et commencer sa carrière en métropole, avant de se décider à rentrer sur son île natale – qu’elle a coutume d’exprimer sur scène et par l’écriture.
Assis en position de méditation, le musicien Mawogany est d’abord là pour accompagner la parole débordante de celle qui l’a convié au Jardin de la Vierge. Délaissant son instrument fétiche, le tambour, il utilise calebasse et ordinateur au rythme de la parole-fleuve, largement improvisée, de Daniély Francisque. L’absence d’une véritable rencontre, d’un réel déplacement dans cette proposition ne dérange guère : l’artiste qui devant nous remonte autant qu’elle le peut, jusqu’à atteindre une forme de féminin originel, mythique, est d’une force qui ne laisse guère place à la discussion. Aussi ciselée qu’éruptive, hors-normes, sa langue bouscule d’autant plus que nous ne la connaissions en France guère plus que les deux premiers artistes de cette Série inaugurale de Vive le sujet !. Les premières Tentatives sont donc réussies. Elles aiguisent la curiosité sur des artistes aux écritures singulières, que l’on espère retrouver ailleurs.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Vive le sujet ! Tentatives – Série 1
What will remain secret
Chorégraphie Auguste de Boursetty, Alex Freiheit
Avec Auguste de Boursetty, Alex Freiheit
Assistanat dramaturgie et chorégraphie Collin Cabanis, Mona Felah, Délia Krayenbühl
Musique Auguste de Boursetty, Mona Felah, Alex Freiheit
Costumes Martyna KoniecznyCoproduction SACD, Festival d’Avignon
Avec le soutien de L’Abri – Genève, Corodis et la Loterie Romande, Pro Helvetia Fondation suisse pour la culture, La Ville de Lausanne, Schweizerische Interpretenstiftung SISAmpāwa !
Texte et mise en scène Daniely Francisque
Musique Mawongany
Avec Daniely Francisque, Mawongany
Costumes Laura de Souza
Conseil dramaturgique ETC_Caraïbe (Alfred Alexandre)Production Compagnie TRACK conventionnée
Coproduction Festival d’Avignon, SACD et de l’Onda – Office national de diffusion artistique
Avec le soutien de DAC Martinique, Fonds d’aide aux échanges artistiques et culturels avec l’Outre-MerFestival d’Avignon 2023
Jardin de la Vierge du Lycée Saint-Joseph
du 8 au 14 juillet à 10h30, relâche le 11
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