Pour lancer son projet Démonter les remparts pour finir le pont, qu’il conduira pendant quatre ans au Festival d’Avignon, le metteur en scène s’empare du Songe d’une nuit d’été de William Shakespeare, et révèle, au long d’une adaptation vibrionnante, canaille et endiablée, portée avec brio par son quatuor de comédiens historiques, le pouvoir hallucinatoire du désir.
Installés dans le Jardin de la rue de Mons, accolé à la Maison Jean Vilar, on a bien cru, l’espace d’un instant, que Gwenaël Morin allait nous refaire le coup. Avec, à jardin, une explication schématique de la dramaturgie du Songe d’une nuit d’été abritée par un parasol et, à cour, un vieux tableau de classe à roulettes sur lequel ont patiemment été assemblées, scotchées et surlignées les pages du chef-d’oeuvre shakesparien, tous les éléments scénographiques étaient en place pour que le metteur en scène s’adonne, une nouvelle fois, à une accélération en règle de ces classiques qu’il empoigne comme aucun autre. Sagement alignés, le doigt quasiment posé sur la couture du pantalon de leurs tenues de ville, les six acteurs écoutent d’ailleurs doctement, dans un premier temps, la mise en place de l’intrigue. Jusqu’à ce que Barbara Jung sorte de ses gonds. Transcendée par la fureur intime d’Hermia, qui refuse de se marier avec Démétrius auquel Égée, son père, la destine, la comédienne tourne les talons, envoie balader ses compagnons de scène, en même temps que le système Morin de ces dernières années, relégué, en une tirade, au rang de clin d’oeil.
À l’instar des cigales qui, excitées par les lueurs du crépuscule, sont venues, au soir de la première, parasiter la réception de la bonne et droite parole née dans le palais de Thésée, tout se passe comme si la Nature avait fait péter les plombs aux personnages de ce Songe avant même qu’ils ne pénètrent dans le bois voisin d’Athènes où une nuit ensorcelante les attend. Car, pour échapper aux injonctions de son patriarche, Hermia décide de s’enfuir, en compagnie de son amant Lysandre, dans la forêt. Lancé aux trousses de sa promise, Démétrius est lui-même poursuivi par Helena dont il a fait chavirer le coeur. En parallèle, tandis qu’une troupe de six comédiens bras cassés s’apprêtent à rejoindre le bois pour répéter une pièce inspirée du mythe de Pyrame et Thisbé, qu’ils préparent pour le mariage de leur duc, un vent mauvais souffle à travers les arbres. Le roi des elfes Obéron et la reine des fées Titania sont en pleine dispute, et le premier ordonne au malicieux lutin Puck d’aller chercher une « pensée d’amour » pour la punir et l’envoûter, sans savoir que ce plan machiavélique aura surtout des effets collatéraux sur les humains qui viennent de débarquer dans son antre naturelle.
Ces trois plans dramaturgiques, Gwenaël Morin a choisi de les confondre presque totalement, de les lier le plus intimement possible, afin de les réunir sous la houlette de ce désir, amoureux et/ou créateur, qui fait tourner la tête de l’ensemble des personnages en présence. Pour le premier volet de son projet Démonter les remparts pour finir le pont, qu’il conduira pendant quatre ans au Festival d’Avignon en montant, chaque année, une pièce en lien avec la langue invitée, le metteur en scène semble avoir opéré une forme de virage, ou de retour aux sources. Plutôt qu’au texte pur et dur, il confère une place de choix aux figures shakespeariennes jusqu’à faire ressortir leur côté le plus burlesque, et offrir à son adaptation du Songe un côté vibrionnant, canaille et endiablée, qui sied à merveille à cette comédie somme toute assez foutraque de Shakespeare. Au lieu d’une fin en soi, la langue devient alors un levier ensorcelant, dont Gwenaël Morin, faute d’accessoires et de costumes féériques, se sert pour révéler la puissance du désir et plonger les personnages dans un délire hallucinogène.
Savamment activée par ses six comédiens qui, grâce à la fine lecture du metteur en scène, se servent de la traduction ronflante de François-Victor Hugo comme d’un tremplin humoristique, elle est surtout puissamment maniée par son quatuor d’acteurs historiques composé de Virginie Colemyn, Barbara Jung, Julian Eggerickx et Grégoire Monsaingeon qui, tous, ont fait partie de l’aventure des Laboratoires d’Aubervilliers. Soutenus par quelques élégantes notes de synthétiseur, jouées à intervalles réguliers en surplomb d’un gros tas de branchages, enrobés par la très belle création lumière de Philippe Gladieux qui sublime l’espace scénique, tous sautent de personnage en personnage, et de costume spartiate en costume spartiate, pour donner une vigueur intellectuelle et physique au grand maelström shakespearien. À la seule force de leur jeu et de leur énergie – citons, notamment, les morceaux de bravoure de Virginie Colemyn en délirante reine des fées, de Barbara Jung en Hermia colérique et de Julien Eggerickx en Puck diabolique –, ils font du Jardin de la rue de Mons le coeur battant, et naturel, de ce Songe qui a, sur les spectateurs, l’effet d’un puissant sortilège.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Démonter les remparts pour finir le pont
Le Songe
d’après William Shakespeare
Mise en scène et scénographie Gwenaël Morin
Avec Virginie Colemyn, Julian Eggerickx, Jules Guittier, Barbara Jung, Grégoire Monsaingeon, Nicolas Prosper
Dramaturgie Elsa Rooke
Chorégraphie Cecilia Bengolea
Création sonore Grégoire Monsaingeon
Lumière Philippe Gladieux
Costumes Elsa DepardieuProduction Compagnie Gwenaël Morin, Théâtre permanent
Coproduction Festival d’Avignon, Parc de La Villette (Paris), Théâtre Garonne (Toulouse), Spazio Culturale Natale Rochiccioli (Cargèse), Scène nationale d’Albi-Tarn, Tap Scène nationale de Poitiers, La Coursive scène nationale de La Rochelle, Le Parvis Scène nationale de Tarbes, Espace Malraux Scène nationale de Chambéry, Les Salins Scène nationale de Martigues, L’Empreinte Scène nationale de Brive-Tulle
Avec le concours de Centre social Espace pluriel, Espace Social et Culturel Croix des Oiseaux et des associations du quartier de Saint-Chamand (Avignon)
Résidence Maison Jean Vilar (Avignon)La Compagnie Gwenaël Morin, Théâtre permanent, est conventionnée par la Drac Auvergne-Rhône-Alpes.
Durée : 1h50
Festival d’Avignon 2023
Maison Jean Vilar – Jardin de la rue de Mons
du 8 au 24 juillet, à 21h30Grande Halle de la Villette – Pavillon Villette, Paris
du 27 septembre au 20 octobre 2023Les Salins, Scène nationale de Martigues
le 21 novembreThéâtre Public de Montreuil, Centre dramatique national
du 28 novembre au 6 décembreLa Coursive, Scène nationale de La Rochelle
les 12, 13 et 14 décembreThéâtre de la Coupe d’Or, Rochefort
les 19 et 20 décembreThéâtre Garonne Scène européenne, Toulouse
du 10 au 18 janvier 2024L’Estive, Scène nationale de Foix et d’Ariège
le 23 janvierLe Parvis, Scène nationale Tarbes Pyrénées (Ibos)
les 25 et 26 janvierEspace Malraux, Scène nationale de Chambéry
les 31 janvier et 1er févrierThéâtre de Bressuire
le 7 marsTap, Scène nationale de Poitiers
du 12 au 14 marsL’Empreinte, Scène nationale de Brive-Tulle
les 19 et 20 marsThéâtre L’Aire Libre, Saint-Jacques-de-la-Lande
les 3 et 4 avril
Mauvaise acoustique de la salle ? Déplacement des comédiens dans la salle hors scène ou au fond de la scène : autant de mauvaises conditions d’ecoute, sans compter la lumière forte sur le public… « faire tomber le 4e mur ? Gadget sans intérêt quand beaucoup de répliques dites à tte vitesse nous échappent !
Totalement d’accord avec Anita, j’ai eu les mêmes impressions