Présentées avec le Festival d’automne à Paris, deux pièces signées par la chorégraphe brésilienne Alice Ripoll et portées par de géniaux danseurs issus des favelas, évoquent la marginalité sociale avec un goût certain pour l’inconfort et un sens ravageur de la fête.
D’un extrême dépouillement, aCORdo est une pièce silencieuse et minimale. A l’inverse, ZONA FRANCA (« zone franche »), est saturée de gestes expansifs exécutés sur des musiques afro beat et funk qui respirent une hyper vitalité. Très différents dans leur forme comme dans leur contenu, les deux opus possèdent une sacrée force de frappe qui provient autant du travail sur le corps des danseurs que des idées qu’ils défendent.
Dans un espace étroit et nu, sans décor, sans jeux de lumières, quatre danseurs sont endormis, plongés dans un sommeil intranquille, ce dont témoignent leurs corps couchés à même le sol dur et inhospitalier. Au fil de longues minutes, ces corps somnolents se mêlent et s’entremêlent inextricablement, cherchant à conjurer l’inconfort. Puis, ils trouvent leur élan en se tenant droit, soudainement animés d’un mouvement frénétique et tribale, si bien qu’ils semblent comme possédés. Ils dansent comme si leur existence en dépendait. Il y a quelque chose de l’ordre de l’urgence, de la survie, dans cette courte pièce aussi étonnante que sensiblement dérangeante dont la dernière partie met en scène un vol organisé. Les performeurs profitent de la proximité avec le public pour se livrer à un jeu de larcin, dérobant ici et là un bijou, un vêtement, un accessoire type sac à main ou téléphone portable. Alignés enfin face à un mur et mains en l’air comme pour un contrôle de police musclé, sans doute subi en raison de leur couleur de peau, ils demeurent immobiles et immuables jusqu’à ce que les gens concernés deviennent à leur tour les auteurs décontenancés d’une fouille au corps leur permettant de récupérer leurs effets personnels.
L’œuvre d’Alice Ripoll est toujours liée à la vie politique de son pays le Brésil. La situation d’aCORdo comme le rôle actif qu’elle confère au spectateur, tendent à jouer avec les préjugés et surtout à les dépasser. Rendre au mieux compte de la violence des rapports de force, d’oppression et d’exclusion dans la société en tentant de les renverser, de les défier en perturbant les conventions de la représentation, c’est tout l’enjeu de la pièce. ZONA FRANCA adopte une même portée politique et humaine mais se laisse davantage découvrir comme une célébration un peu longue et épaisse d’une jeunesse défavorisée mais éprise de liberté. Plus récente, cette création a été montée entre la fin du mandat de Bolsonaro et le retour de Lula au pouvoir. La zone convoquée dans le titre est un vaste espace de créativité, une piste sur laquelle se dansent dans une allégresse étourdissante le Passinho, la dancinha, la capoeira, le voguing, la samba, le hip-hop, entre autres styles urbains et notamment populaires au Brésil.
Si la pièce n’évite ni les outrances ni les lourdeurs, elle bénéficie de l’énergie sidérante de sa joyeuse bande d’interprètes. Sur des rythmes et des musiques entraînants, la troupe déploie un tonicité et une irrévérence dingues. Jamais policée, l’expression se veut exultante, provocante, délibérément aguicheuse. Les rires et les cris fusent, les fringues volent, comme les confettis qui s’échappent de gros ballons suspendus. La pièce rend compte d’une manière d’être ensemble pleine de vigueur qui galvanise et laisse croire en une possible renaissance.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Zona Franca d’Alice Ripoll
Intérprétation : Gabriel Tiobil, GB Dançarino Brabo, Hiltinho Fantástico, Katiany Correia, Maylla Eassy, Petersonsidy, Romulo Galvão, Tamires Costa, Thamires Candida, VN Dançarino Brabo
Assistantes création : Alan Ferreira, Thais Peixoto
Création lumière : Tomás Ribas, Diana Joels
Décors et costumes : Raphael Elias
Création son : Alice Ripoll, Alan Ferreira
Technicien du son et répétiteur : Renato Linhares
Designer : Caick Carvalho
Photos : Renato Mangolin
Direction de production : Natasha Corbelino, Corbelino Cultural
Production exécutive : Milena Monteiro Assistante de production : Thais Peixoto
Diffusion : ART HAPPENS
Coproduction : Festival de Marseille, Festival d’Automne à Paris, Charleroi Danse, Roma Europa, Tandem, Tanzhaus NRW, Teatro Municipal do Porto, Julidans, Les Mécènes DanseAujourdhui
Coproduction Festival de MarseilleFestival d’Automne à Paris
Le CENTQUATRE-PARIS
9 au 11 Novembre 2023
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