L’artiste suisse se risque au stand-up et en déjoue les codes sans jamais s’en moquer. Au contraire. L’humour frontal se plie suivant les courbes de ses facétieuses arabesques en une spirale comique sans cesse surprenante. Un voyage sinueux vers une société de bienveillance et de dérision où l’on se marrerait tous et tout le temps.
Joël Maillard est un rigolo un peu mélancolique, décalé comme un helvétique. Comique lunaire qui avait fait décoller la sélection suisse du Festival Off d’Avignon dans son vaisseau imaginaire de Quitter la terre en 2018, c’est par le train (Bleu), cette fois, qu’il invite le spectateur à un spectacle en format stand-up, que l’artiste malicieux se plaît bien sûr à détourner. Certes, seul face public, avec pour seuls auxiliaires un micro et un synthé, Maillard tourne le dos à tout effet de mise en scène et raconte sa vie en adresse directe au public sur le principe du « tout ce que je dis est vrai sauf si je dis que c’est faux ». Mais il nous emporte surtout dans ses dérives poético-burlesques où s’entrecroisent et se renouvellent bien des registres du rire et donne à penser l’utopie d’une société qui serait baignée de bienveillance et continuerait pourtant à rigoler.
Rien qu’au titre Résilience mon cul, on se doute d’ailleurs que le projet ne sera pas mené en mode Bisounours. Au contraire, Maillard conduit son rêve de rapports pacifiés et démarchandisés entre humour noir – et si on payait les gens pour qu’ils se tuent – volontiers provocateur, versant « je cherche les limites » – la belle chanson « J’encule pas » – et humour rose – quand il prend un spectateur comme acteur de son rêve par exemple ou encore termine son spectacle en offrant un cadeau à l’assistance. Jamais sérieux mais toujours profond, insaisissable et se livrant pourtant avec franchise, Maillard zigzague sans cesse entre l’intime et le politique sans jamais nous perdre et ramène toujours l’humour à sa source : la surprise et l’inattendu qui immanquablement déclenchent le rire.
De suppositoires anti agressivité en écriture en italique qu’il chorégraphie de biais, de boîtes pour abandonner ses bébés en spectacle imaginaire de son fils perruqué, c’est une inventivité florissante que déploie l’artiste suisse qui souhaitera pour finir à tous « une belle mort, douce, succincte et indolore ». Du stand-up – pari risqué d’une forme que le monde du théâtre prend habituellement avec des pincettes – il reste également quelques punchlines – « La résilience et la sagesse / je les accueille entre mes fesses » – que Joël Maillard distille souvent en musique et surtout en douce, sans jamais arborer la fierté de la bonne vanne, sans s’y arrêter, s’en excusant presque, ayant déjà filé vers d’autres chemins, jusqu’à un final tout en intimité, pied de nez aux recettes les plus éculées.
C’est donc tout le plaisir de celui qui offre à rire en même temps qu’il remue ses angoisses, les nôtres et ses doutes que propose ce Résilience mon cul mené dans un parcours sinueux, rempli de contre-pieds et de double sens, d’implicites et de simplicité. Du pet dans le micro aux discours méta-théâtraux, Joël Maillard ménage un voyage vers ces ailleurs que de spectacle en spectacle il se plaît à inventer, une zone où l’humour donne dans la dérision plus que dans l’ironie, dans la gentillesse transgressive sans être agressive. Bref, dans le renouvellement du genre, brillant et jamais arrogant.
Eric Demey – www.sceneweb.fr
Résilience mon cul
Ecriture, mise en scène et interprétation Joël Maillard
Dramaturgie, maïeutique et motivation Lou Ciszewski, Marie Ripoll
Arrangements et son Charlie Bernath, Louis Jucker
Lumière Nidea Henriques
Costume Coralie Chauvin
Berceuse Antoine FrançoiseProduction Tutu Production
Coproduction Festival de la Cité, Lausanne ; Arsenic – Centre d’art scénique contemporain, Lausanne ; Théâtre Nouvelle Génération – Centre Dramatique National de Lyon ; Théâtre Saint-Gervais, Genève ; Equilibre-Nuithonie, Fribourg
Soutiens Ville de Lausanne, Canton de Vaud, Pro Helvetia, Loterie Romande, Fondation Jan Michalski, Corodis.
SNAUT est au bénéfice d’une convention de subventionnement de la Ville de Lausanne depuis 2019 et du Canton de Vaud depuis 2021.
L’écriture du texte est soutenue par une bourse culturelle 2020 de la fondation Leenaards.Durée : 1h15
Festival Off d’Avignon 2023
Théâtre du Train Bleu
du 7 au 26 juillet, à 15h50 (relâche les 13 et 20)MA scène nationale, Montbéliard
le 3 octobreThéâtre Nouvelle Génération, Lyon
du 17 au 19 janvier 2024
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