En partant d’un projet de rebaptisation de trois noms de rues dans le « quartier africain », Cédric Djedje et Safi Martin Yé interrogent le passé colonial allemand sans éviter quelques raccourcis.
Des rangées de chaises disposées en arc de cercle. Quelques plantes suspendues au plafond rappelant des contrées équatoriales. Un agrégat de cerfs-volants blancs formant un écran en fond de scène. Et un tas de terre dans lequel un homme et une femme plantent des bocaux au contenu énigmatique. Vielleicht, signifiant « peut-être » en allemand, mis en scène par Cédric Djedje de la compagnie Absent·e pour le moment s’ouvre sur une ambiance mystérieuse de rituel tandis que le public prend place dans la salle transformable des Plateaux sauvages (Paris 20e). Une fois les spectateurs assis, des échos de voix s’enchevêtrent. Des fragments relatant la lutte perdurant depuis 40 ans à Wedding, dans le « quartier africain » de Berlin, où des activistes se battent pour changer les noms de trois rues.
La « Lüderitzstraße », la « Nachtigalplatz » et la « Petersallee » honorent des figures du colonialisme allemand. A leur place, les associations africaines et afro-allemandes souhaiteraient voir érigés les noms d’Anna Mugunda, de Cornelius Frederiks, de la famille Manga Bell ou des Maji-Maji. L’histoire est vraie et constitue le point de départ du spectacle joué par Cédric Djedje et Safi Martin Yé. Les deux artistes, formés tous deux en Suisse, portent sur scène cette actualité mêlée à leur propre expérience autour des questions liées à la colonisation. Le ton est volontairement engagé donnant à la pièce des allures de conférence décoloniale. Les deux comédiens déplient les zones d’ombre de la colonisation allemande rappelant le premier génocide du XXe siècle commis entre 1904 et 1908 contre les tribus herero et nama, peuples de Namibie alors sous domination germanique.
Mais ce militantisme appuyé finit par affaiblir le propos du spectacle. En partant de cette affaire visant à rebaptiser des noms de rues, Vielleicht resserre le panorama autour de Franz Adolf Lüderitz, Gustav Hermann Nachtigal, Carl Peters et les crimes dont ils sont responsables. Dès lors, ce cadre contraignant ne permet qu’une vision partielle de l’histoire allemande. Ce biais verse dans la caricature lorsqu’il s’agit d’évoquer Otto Von Bismarck (1815-1898) alors chancelier de l’empire allemand dépeint en vieillard gâteux. Cédric Djedje et Safi Martin Yé réduisent la colonisation allemande à un caprice des dirigeants du pays souhaitant rivaliser avec la France et le Royaume-Uni dans le concours de la plus grande puissance coloniale du monde. Hélas, ces raccourcis historiques édifiants forment les rares moments où le théâtre occupe la scène.
Vielleicht navigue la plupart du temps entre conférence, performance et autobiographie. Cédric Djedje et Safi Martin Yé nourrissent leur spectacle de moments vécus à Berlin versant parfois dans l’anecdote. A deux reprises, les spectateurs sont plongés dans une ambiance de boîte de nuit comme la capitale allemande en a le secret. Le spectacle s’appuie aussi sur des rencontres filmées avec des figures de la lutte afro-allemande, des habitants du quartier de Wedding, des chercheurs et des historiens. Des extraits vidéos de ces entrevues ponctuent le spectacle et côtoient une narration plus personnelle autour de l’histoire de Cédric Djedje : ses amours berlinoises comportant en creux des relents racistes, et la question de ses origines – l’artiste est franco-ivoirien. Lors d’une conversation, sa mère tranchera la question, qualifiant son fils d’« hors-zone ». Comprendre : pas totalement ivoirien mais plus que simplement français.
Ces échanges forment une matière propice à la réflexion sur le passé colonial de l’Europe. En ce sens, Vielleicht fraie avec la longue tradition du théâtre politique. Mais la scène est avant tout le lieu d’une manifestation artistique. Or, Cédric Djedje et Safi Martin Yé semblent avoir délibérément mis de côté cette dimension que l’on peine à trouver durant les deux heures du spectacle…
Kilian Orain – www.sceneweb.fr
Vielleicht
Mise en scène Absent·e pour le moment
Conception Cédric Djedje
Dramaturgie Noémi Michel
Regard extérieur Diane Muller et Ludovic Chazaud
Chorégraphie Ivan Larson
Écriture Ludovic Chazaud et Noémi Michel
Scénographie et costume Nathalie Anguezomo Mba Bikoro
Conseil scénographique Marco Ievoli
Construction Atelier construction Vidy
Confection coussins et dossiers Kanga Eva Michel
Costume Tara Mabiala
Collaboration à la conception espace et lumière Joana Oliveira
Création lumières Léo Garcia
Création sonore Ka(ra)mi
Création vidéo Valéria Stucki
Maquillage Chaïm Vischel
Graphisme Claudia Ndebele
Retranscription des interviews Eva Michel, Bel Kerkhoff-Parnell, Orfeo et Janyce DjedjeAvec Cédric Djedje et Safi Martin Yé
Production Absent·e pour le moment
Coproduction Le Grütli – Théâtre Vidy-Lausanne
Coréalisation Les Plateaux Sauvages
Avec le soutien et l’accompagnement technique des Plateaux Sauvages
Avec le soutien d’Agenda 21, de la Fondation Ernst Goehner, de la Fondation Leenards, de la Fondation SIS, du Fonds de dotation Porosus, de la Loterie Romande, de la Bourse SSA Composition et de Pro Helvetia.Durée 1h50
Festival Impatience
CentQuatre
18 et 19 décembre 2024
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !