Pour sa première mise en scène, Hugo Givort s’attaque à la pièce de Michel Vinaver sur le délitement de la relation entre une mère et son fils. La pièce est créée à l’Artistic Théatre avant de partir cet été dans le Off à Avignon.
Qu’est-ce qui est digne ou non d’être montré au théâtre ? Quiconque s’est confronté aux œuvres de Michel Vinaver, dramaturge disparu en 2022 et auteur de ce spectacle présenté à l’Artistic Théâtre (Paris 11e), aurait envie de répondre « tout. » A travers son écriture ciselée, Michel Vinaver fait se côtoyer les choses de la vie, grandes et petites, tirant de la banalité, une source infinie de sujets à porter sur scène. Dans ses Ecrits sur le théâtre (éd. L’Arche, 1998), il décrivait son geste ainsi : « le théâtre ancré dans le quotidien, c’est avant tout une capacité de trouver le plus extrême intérêt à ce qui est le moins intéressant, de porter le quelconque, le tout-venant au sommet de ce qui importe. » Dissident, il va sans dire n’échappe pas à cette ambition, déployant le quotidien d’une mère, Hélène (Judith d’Aleazzo), et de son fils Philippe (Pablo Cherrey-Iturralde) vivant ensemble sans vraiment se rencontrer.
Pour sa première mise en scène, Hugo Givort s’attaque à cette relation qui se distend sous nos yeux et lui crée un écrin simple et non moins efficace. Le décor est celui de l’année 1978 durant laquelle se déroule la pièce. Cuisine rétro, pile de vinyles – on distingue celui du groupe The Runaways –, vêtements colorés… les deux personnages évoluent dans cette atmosphère disco imprégnant leur modeste appartement. Hélène, la mère, est statisticienne. L’ordinateur en est encore à ses balbutiements mais il va bientôt la remplacer, et la contraindre au chômage. Philippe, lui, rechigne à trouver du travail, repoussant les pressions de sa mère.
Dans cette famille monoparentale, à une époque où une telle situation suscitait la réprobation de la société, le père est parti mais son ombre plane toujours autour des deux êtres. Hélène semble encore attachée à cet homme pourtant peu préoccupé de son sort et de celui de son fils. Philippe ne veut rien accepter de son géniteur, préférant se débrouiller seul. Le jeune homme se fait embaucher comme ouvrier chez Citroën, où il se passionne davantage pour le mouvement de grève émergeant dans l’usine, que par l’acquisition d’une situation.
A la maison, Philippe accueille régulièrement un groupe de copains, suscitant l’inquiétude de sa mère quant à ses fréquentations. La drogue occupe une place de plus en plus importante dans son existence, et propulse le jeune adulte vers la chute. Bercée d’illusions, Hélène lui fait confiance. L’urgence du quotidien l’emporte sur l’inquiétude. Elle préfère savoir son fils occupé que oisif, dans le rang plutôt qu’en dehors des clous.
Autour d’Hélène et Philippe, les Trente glorieuses s’achèvent, le monde se transforme. Des régimes tombent au profit de nouveaux, plus autoritaires. Philippe semble y porter un intérêt substantiel. Sur le plateau, Hugo Givort diffuse des extraits vidéos maquillés où les présentateurs de journaux télévisés sont des Playmobil. Le metteur en scène opte pour l’immersion, restant fidèle à la période de la fin des années 1970.
Les douze tableaux de Dissident, il va sans dire se succèdent les uns aux autres avec des transitions appuyées. L’effet, un peu mécanique, permet de déplier les ressorts de l’intrigue nichés dans les dialogues courts et directs. Ces conversations, banales en apparence, renferment des non-dits d’où naissent les ferments d’une tragédie annoncée.
Si le démarrage est poussif, la tension envahit rapidement l’espace. Judith d’Aleazzo et Pablo Cherrey-Iturralde révèlent leur complicité et parviennent à créer une collision entre leur deux personnages, oscillant entre tendresse et défiance. Et malgré quelques instants de vacillement, les deux comédiens se glissent à merveille dans leur rôle, donnant chair à cette histoire du quotidien ayant toute sa place sur la scène d’un théâtre.
Kilian Orain – www.sceneweb.fr
Dissident, il va sans dire
de Michel Vinaver
mise en scène, son, scénographie, vidéo Hugo Givort
Avec
Judith d’Alézzo,
Pablo Chery-IturralideCostumes et collaboration artistique Dominique Bourde
lumières Xavier Lazarini
Durée 1h
Artistic Théatre
à partir du 17 avril 2023
du mardi au dimanche
relâches les lundisAvignon Off 2023
Au petit Chien
Du 7 au 29 Juillet 2023
à 17h30
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