A la lisière du théâtre, de la musique et de la littérature, la pièce écrite et mise en scène par Françoise Dô peine à trouver son équilibre.
Deux pianos et leurs musiciens en trans. Les notes fulminent dans la salle du Théâtre Ouvert (Paris 20e). Juillet 1961 s’achève sur un concert de détonations, clôturant une intrigue explosive. Françoise Dô met en scène ce texte puissant écrit par ses soins, dans une forme hybride, à la lisière du théâtre, de la musique et de la littérature. L’idée est audacieuse. L’autrice crée des images fortes et des instants d’une intense beauté. Mais le spectacle peine à trouver son équilibre.
Françoise Dô nous plonge dans le Chicago de 1961, où vivent Chloé (Rosalie Comby) et Clarisse (Wanjiru Kamuyu). La première est blanche. La seconde est noire. Les deux femmes sont voisines, fait rare dans cette ville où les habitants demeurent entre personnes de même couleur. Dans le ghetto noir, Chloé habite avec sa fille, Mary, très amie avec Dani, la fille de Clarisse. Les deux fillettes s’entendent à merveille malgré les rapports impossibles entre leurs mères. La faute au racisme.
Comme son père, à qui elle semble vouer une admiration sans faille, Chloé exècre les « nègres ». Sa haine a commencé jeune : « petite, avec papa, on allait voir les pendus le soir », confie-t-elle. Mais, la nature humaine étant peuplée d’incohérences, les relents de ce poison sont confinés lorsqu’il s’agit d’amour ou d’argent. La pièce débute donc par un paradoxe. Chloé – dont on comprend l’activité régulière de prostituée – se rend dans la chambre d’un hôtel de luxe où Paul l’y attend. L’homme est noir et a de l’argent. Soudain, Paul lâche : « Je connais votre père. » Plus qu’un simple client, Paul est inspecteur de police et mène une enquête sur la mort – courante à cette époque – d’un homme noir. Les soupçons pèsent quant à l’éventuelle (et probable) implication du père de Chloé. La jeune femme quitte alors violemment la chambre et tombe sur Clarisse, sa voisine qu’elle a tant de mal à côtoyer.
Wanjiru Kamuyu campe le personnage de cette femme de chambre invisibilisée par ses fonctions et la couleur de sa peau. La comédienne, née au Kenya avant de partir vivre aux Etats-Unis et d’atterrir à Paris en 2007, aide à nous plonger dans ce Chicago des années 1960 grâce à son accent américain et son interprétation empreinte de délicatesse. De sa voix suave et chaleureuse l’artiste donne forme à la prose de Françoise Dô, susurrant, criant ou clamant son texte.
En haut de la scène, un écran accueille des images en noir et blanc et les paroles sous-titrées du père de Chloé. Uniquement présent par sa voix, ce dernier gravite dans cet univers où chacun est assigné à résidence, condamné à demeurer dans le périmètre définit par sa naissance. Les deux filles de Clarisse et Chloé en font l’expérience, sillonnant la ville et sa violence. Là où naît l’intensité du spectacle. Françoise Dô peine toutefois à la maintenir à flot, tarissant cette force par quelques longueurs dans le texte qui égarent les spectateurs dans un nuage de mots.
Tout comme ces derniers, la musique insuffle le rythme de Juillet 1961. Les deux musiciens Roberto Negro et Sylvain Darrifourcq jouent sur le plateau, face à face, leur piano ouvert et éclairé par des lumières colorées. A ces notes, viennent parfois s’ajouter des sons électroniques et le fracassement de percussions au gré de l’intrigue. Tantôt bienvenues, tantôt écrasantes, ces mélodies laissent une impression en demi-teinte étirant parfois jusqu’au trop plein la tonalité dramatique de la pièce. Les forces de ce spectacle forment ainsi ses faiblesses : mots, musique et images saturent notre esprit et l’on perd à plusieurs reprises le fil de la représentation. Juillet 1961 déplie une intrigue aux contours trop vaporeux pour nous fixer quelque part, malgré la remarquable performance de ses deux interprètes. Et la beauté d’un texte dont il faut souligner la poésie.
Kilian Orain – www.sceneweb.fr
Juillet 1961
texte et mise en scène Françoise Dô
avec Rosalie Comby, Wanjiru Kamuyu, Sylvain Darrifourcq, Roberto Negro et la voix de Christopher Mack en alternance avec Kenneth Starcevic
conseiller dramaturgique Paul Emond
collaborateur artistique Denis Boyer
création musicale Sylvain Darrifourcq et Roberto Negro
création lumière Cyril Mulon
costumes Jien Chung
ingénieur son Pierre-Emmanuel Mériaud
régie générale et plateau Yann-Mathieu Larcher
© Georges-Emmanuel Arnaudproduction Cie Bleus et Ardoise ; La Comédie de Saint-Étienne – CDN
coproduction Théâtre de Vanves – Scène conventionnée d’intérêt national art et création pour la danse et les écritures contemporaines à travers les arts ; Théâtre Ouvert – Centre national des dramaturgies contemporaines
soutiens DRAC Martinique, ministère des Outre-mer, Fonds d’aide aux échanges artistiques et culturels pour les Outre-mer (FEAC), Printemps des comédiens, Montpellier dans le cadre du Warm Up, Cité Internationale des Arts de Paris, Tropiques Atrium – Scène nationale de Martinique, La Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon – Centre national des écritures du spectacle, ETC_Caraïbe, Les Francophonies Limoges – Des écritures à la scène, L’Odyssée / L’autre rive – Ville d’Eybens, FACE Fundation, Services culturels de l’Ambassade de France de New-York pour la traduction en anglais par Nathanaël
le texte est édité par Théâtre Ouvert Éditions
Collection Tapuscrit Prix ETC_Caraïbe 2019 Lauréat de FACE Contemporary Theater/Residency Grant de la FACE Foundation
Françoise Dô est Artiste de La Fabrique de la Comédie de Saint-Étienne.Durée 1h15
Théâtre Ouvert – Centre national des dramaturgies contemporaines
jusqu’au 22 avril 2023
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