« Histoires de géants », exubérante folie rabelaisienne
Esthétique de l’excès : Youssouf Abi-ayad et sa troupe se nourrissent autant des écrits que de l’esprit de Rabelais pour créer un spectacle qui dépasse les limites. Tohu-bohu inégal, mais profondément réjouissant, présenté dans le cadre du festival Impatience, Histoire de géants est une fête théâtrale pleine de liberté et de transgressions en tous genres.
« Rabelaisien », « gargantuesque », « pantagruélique », il n’y a qu’à voir quelles traces la saga des géants inventée par François Rabelais dans ses Cinq Livres a laissées dans le langage. La démesure, la bouffe, le rire, qui peut se faire gras, cet écrivain humaniste et ultra cultivé a marqué l’imaginaire national par son côté Diogène, philosophe cynique auquel il aimait se comparer, perché sur un tonneau, apostrophant les puissants, délivrant ses fines réflexions et se touchant la nouille en public. C’est d’ailleurs par la chair qu’Histoire de géants attaque le morceau, grâce à une première scène mémorable et hilarante dans laquelle Grandgousier, Gargamelle et leur cour, tout de blanc vêtus dans d’improbables et superbes costumes, entre Teletubbies et meringues baroques, projettent sur le tissu immaculé qui les entoure, du sol aux murs, des gerbes de vomi tirées de bocaux de liquide maronnasse qu’ils régurgitent aussitôt avalé. Le tout débouchera, si l’on peut dire, sur la naissance de Gargantua, sortant par l’oreille de sa mère après qu’on a pratiqué sur elle des épisiotomies géantes. Menée tambour battant, cette somptueuse entrée en matière donne le ton.
« Rabelais est une orgie de mots, un banquet d’idées, un univers comique qui défie le sérieux », écrivait Théophile Gautier. Et ce versant de l’exubérance, d’une parole prolifique, mais aussi politique, produisant une ivresse communicative, et engendrant à son tour un imaginaire et des situations rabelaisiennes créées par Youssouf Abi-ayad et sa troupe, irrigue le spectacle. Force est de constater qu’on s’y perd un peu, que ça flotte par endroits. L’excès de musique, la surénergie et l’entremêlement d’extraits de l’auteur tourangeau et d’autres, inventés, noient le spectateur dans un flot certes rabelaisien, mais excessivement déroutant. On reprendra pied quelque temps plus tard pour une homérique bataille contre une tribu d’andouilles et un épilogue en épisodes non représentés qui assure le job de l’apothéose.
De ce spectacle en montagnes russes, on sort donc heureux, puisqu’au sommet, et l’on pardonne les creux, car on en garde le parfum d’une grande liberté, d’un traitement de la prose rabelaisienne dont l’auteur lui-même, se dit-on, se serait réjoui : intelligent et drôle à la fois, révérencieux et insolent, et d’une folle théâtralité. Costumes exubérants, espace sans cesse recomposé, puissants effets lumineux et sonores, univers mélangés, la joie et l’inventivité débordent de partout. Des débordements dont on se dit qu’ils étaient aussi constitutifs de Rabelais : fantaisie sans limites quitte à être prolifique, « trop » comme le souligne une voix off, cet élément raisonnable et raisonneur qui encadre le spectacle de ses facéties, comme la raison portant un regard tendre sur les excès de la folie.
Eric Demey – www.sceneweb.fr
Histoires de géants
D’après les œuvres de François Rabelais Pantagruel, Gargantua, Troisième, Quart et Cinquième livres
Adaptation et mise en scène Youssouf Abi-ayad
Avec Avec Youssouf Abi-Ayad, Romain Darrieu, Lucas Goetghebeur, Coraline Mages, Maud Pougeois
Musique Francisco Alvarado Basterrechea
Scénographie Cécilia Galli
Assistanat à la mise en scène Mathilde Carreau
Régie générale, création lumière Auréliane Pazzaglia
Régie son Matthieu Viley
Costumes Angèle GasparProduction Les Ombres des Soirs
Production déléguée Le Quai CDN Angers Pays de la Loire
Coproduction La Comédie – CDN de Reims ; CCAM – Scène Nationale de Vandoeuvre-lès-Nancy
Avec le soutien de la DRAC Grand Est, de la Région Grand Est et de la SpedidamDurée : 1h45
Centquatre-Paris, dans le cadre du festival Impatience
les 16 et 17 décembre 2024
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