Tout sauf statique, la figure de Pénélope se démultiplie chez Jean-Claude Gallotta en un ballet foisonnant où danseurs et danseuses dialoguent à égalité.
Il y a un peu plus de 40 ans, Jean-Claude Gallotta fondait sa compagnie de retour de New-York où il avait suivi l’enseignement révolutionnaire de Merce Cunningham, influence majeure qui ne le quittera jamais. En 1981, fort de ce voyage et de cette rencontre, le jeune Gallotta créait Ulysse, spectacle emblématique de son geste chorégraphique, pierre angulaire d’une œuvre prolifique au style très identifiable qu’il reprend régulièrement et notamment depuis deux ans avec une distribution renouvelée, au plus près de l’énergie juvénile et aérienne qui s’en dégageait alors. Gallotta aime faire revivre ses pièces pour « racheter la mort des gestes », tisser de nouvelles variations autant que s’inspirer de figures littéraires ou historiques (Marco Polo, Nosferatu, Don Quichotte…), tremplins à son imaginaire chorégraphique.
Avec Pénélope, sa toute dernière création, il aborde l’Odyssée homérique via le personnage féminin qu’il démultiplie en un éventail de danseuses. La femme d’Ulysse n’est plus celle, d’un autre temps, qui attend patiemment le retour de son mari, cantonnée à sa tapisserie dans une maison où défilent les prétendants. Elle se fait guerrière, fière et indocile, plurielle. Feu follet insaisissable, elle ne tient pas en place et se projette dans l’espace avec une fureur de vivre communicative. Sa jeunesse est son trophée, son énergie la rend irréductible. Contrairement à Ulysse qui baignait dans le blanc, Pénélope est un ballet en noir, à commencer par les costumes, évolutifs et épurés, signés Chiraz Sedouga. Jouant sur les matières et les transparences, le noir se fait cuir, dentelle ajourée ou résille, les jupes sont fendues pour ne pas entraver le mouvement, les vestes des hommes sont revêtues par les femmes, les brassières comme des bandeaux découpent les torses féminins et masculins. Au fur et à mesure, les corps se dénudent, la peau s’impose, les muscles en action happent le regard et les différences de sexe s’estompent. C’est le temps de la réconciliation entre les hommes et les femmes juste avant l’épilogue qui boucle le voyage.
Chapitré comme un livre, ondoyant au rythme des différentes musiques qui l’accompagnent (le chorégraphe a passé commande à plusieurs compositrices et un compositeur), le spectacle, un peu aride au début, déploie sa beauté et sa puissance au gré de ses tableaux dansants jusqu’à l’apothéose finale. Gallotta n’a rien perdu de sa fougue et de son style. On retrouve avec bonheur ses petits pas frétillants, ses moulinés de bras, ses cavalcades effrénées d’un bout à l’autre du plateau, ses rebonds et portés. On croit même reconnaître, comme un clin d’œil ou un dialogue à travers les époques, des gestes exhumés d’Ulysse. Les corps s’enlacent, se touchent, se soulèvent dans des mouvements d’ensemble ébouriffants, des enchaînements de duos, de trios et de solos, des échappées faites de ruptures de rythme, comme des ponctuations, des sursauts de vie. Les mains s’attardent sur les corps, tantôt sur un torse ou sur une cuisse, la sensualité s’immisce dans les contacts, furtifs ou prolongés tandis qu’en parenthèses, des intermèdes vidéo viennent superposer aux corps en pleine possession de leurs moyens des danseur.ses les images en noir et blanc d’un couple âgé, Ulysse et Pénélope à la fin de leur vie peut-être. Filmés dans un studio de danse, ils évoluent ensemble au rythme de la vieillesse tandis qu’une voix off porte sobrement le texte de Claude-Henri Buffard, dramaturge attitré du chorégraphe. « Nous sommes ce que nous dansons » énonce-t-il et la danse généreuse de Jean-Claude Gallotta en témoigne.
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
Pénélope
Chorégraphie : Jean-Claude Gallotta
Avec : Axelle André, Naïs Arlaud, Alice Botelho, Ibrahim Guétissi, Fuxi Li, Bernardita Moya Alcalde, Clara Protar, Jérémy Silvetti, Gaetano Vaccaro, Thierry Verger
Musiques originales* : Noémi Boutin
Avec : Géraldine Foucault, Marie Nachury
Et : Sophie Martel, Antoine Strippoli
Assistanat à la chorégraphie : Mathilde Altaraz
Textes et dramaturgie : Claude-Henri Buffard
Lumières et scénographie : Manuel Bernard
Assistant lumières : Benjamin Croizy
Costumes : Chiraz Sedouga
Séquences filmées : Paul Callet
Interprétation films : George Mac Briar, Béatrice Warrand
Avec les voix de : Dominique Laidet, Béatrice Warrand
Régie son : Sophie Martel, Stéphane Chrisodoulos
Régie lumière : Benjamin Croizy, Nicolas Bulteau
Régie plateau : Guillem Pic
Régie costumes : Anne BonoraDurée 1h20
Du 13 au 22 janvier 2023
Au Théâtre du Rond-PointTOURNÉE
10 FÉVRIER 2023 THÉÂTRE DE CAEN (14)
22 FÉVRIER 2023 THÉÂTRE / ESCH-SUR-ALZETTE (LUXEMBOURG)
16 MARS 2023 SCÈNE NATIONALE DE DIEPPE (76)
22 ET 23 MARS 2023 MC2: GRENOBLE (38)
16 ET 17 MAI 2023 SCÈNE NATIONALE DU HAVRE (76)
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