Le metteur en scène de 35 ans signe cette création dont il est aussi l’auteur et le seul comédien, déployant une fable foisonnante sur la naissance du monde.
Chez les Grecs, il est la divinité des rêves, capable d’endormir les mortels et de les plonger dans un profond sommeil. Morphée perd ici un « e » pour donner son nom à ce spectacle empli de poésie. Simon Falguières (Le Petit Poucet, Le nid de cendres, Les Etoiles), 35 ans, en est l’auteur, le metteur en scène et le seul comédien. Pour la création en mai 2023 création, l’artiste avait choisi d’investir les planches du Tangram (Eure), un théâtre qu’il connaît bien puisqu’il y a grandi lorsque son père en était le directeur. Ce retour aux sources est un pari réussi tant cette fable foisonnante, abordant la naissance du monde, les êtres vivants qui le composent, le théâtre ou encore la guerre, nous embarque vers des univers dignes de l’imaginaire.
Un seul corps peuple la scène, mais une multiplicité de personnages le font vivre. D’abord, il y a Pierre, vêtu d’un pantalon de costume rayé surmonté de bretelles, affichant un large sourire aux lèvres. L’homme apparaît sur le bord de la scène, devant l’imposant rideau rouge encore fermé.« Bonjour tout le monde », lance-t-il au public. « Aujourd’hui je vais vous raconter une histoire. » Le récit s’enclenche, puis le rideau s’ouvre enfin, dévoilant un décor de cabane faite de hautes planches de bois, de cordelettes, d’un petit bureau et de deux tonneaux.
Pierre raconte l’histoire de sa mère, Masha, actrice née dans un pays lointain et fille de Rezzo, propriétaire d’un théâtre au nom mystérieux : « La Baleine Bleue. » Sur scène, une robe, dont l’armature rigide la fait tenir sur elle-même, suggère la présence de cette mère passeuse de la mémoire familiale. Le vêtement demeurera posé dans un coin tout au long de la représentation. De ce point de départ jaillissent plusieurs univers, bâtis autour d’une thématique générale, la naissance du monde, irriguant la pièce. Simon Falguières, performateur de tous ces personnages, glisse à merveille de l’un à l’autre, dévoilant sa grande maîtrise du jeu en sus de ses compétences de metteur en scène.
Il faut suivre le fil de ce conte où les personnages s’enchaînent et ainsi les univers et les époques. Simon Falguières réussit à raccrocher les wagons grâce à son écriture imagée et à sa voix de conteur. S’adressant directement au public, Masha revient à l’époque où elle avait 8 ans, dans le ventre de La Baleine Bleue. Et nous plonge dans les bras de Morphé, un personnage muet qui arrive au monde niché dans deux tonneaux emboîtés l’un dans l’autre comme une chrysalide à briser. Une fois née, la créature peine à s’extraire d’un profond sommeil. Seule sa main droite semble éveillée, n’hésitant à donner des claques à son propriétaire. La scène fait sourire. L’interprétation de son auteur évoque le mime, le clown voire à certains moments Charlie Chaplin.
De longues minutes durant, la salle reste coite face à cette prestation onirique. Et l’on est admiratif devant le décor ingénieux constitué de trappes s’ouvrant et se refermant comme par magie, d’où sortent une multitude d’objets. Une pluie de cubes remplit le plateau, de toutes tailles et formes, rectangulaires, triangulaires… et s’allument dans l’obscurité. L’image est belle. Simon Falguières construit des paysages lumineux d’une grande poésie.
Quid de la baleine bleue ? Elle refait surface sur le plateau lorsque le tiroir du bureau s’ouvre avec, à l’intérieur, une feuille blanche. Morphée s’en saisit et la déplie. Une tache bleue colore le papier. Et Morphée le colle aussitôt au mur. Puis viennent s’y ajouter une multitude d’autres fragments blancs et bleus, dessinant une large fresque en forme de baleine. Le cétacé accouche de sa progéniture. Métamorphoses. La pièce s’épanche sur l’évolution des espèces jusqu’à l’apparition des premiers hommes et les prémices de la destruction du monde réel et imaginaire… Comme l’univers, le théâtre de La Baleine Bleue est fragile. Seuls les esprits rendent son souvenir inaltérable. Simon Falguières nous le communique dans un geste empreint de grâce et de beauté.
Kilian Orain – www.sceneweb.fr
Morphé
texte, mise en scène, scénographie et jeu : Simon Falguières
Accessoires : Alice Delarue / Création lumières : Léandre Gans / Création sonore : Celsian Langlois / Création costumes : Lucile Charvet / Assistant à la mise en scène : David Guez / Production : Martin Kergourlay Justyne Leguy GenestProduction : Le K
Co-production : Le Tangram, Scène Nationale Evreux-Louviers (27), Les Tréteaux de France, CDNAvec le soutien de : Le Moulin de l’Hydre (61)
Durée 1h
Festival du Moulin de l’Hydre, Saint-Pierre-d’Entremont (61)
Le 2 septembreThéâtre Paris Villette
Du 19 octobre au 5 novembre 2023Comédie de Caen – CDN de Normandie (14)
Du 25 au 29 mars 2024Transversales – Scène conventionnée de Verdun (55)
Avril 2024
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