Aliette Martin a occupé pendant quarante-deux ans le poste de directrice déléguée à la programmation de la Comédie-Française. Elle signe un livre passionnant sur les coulisses de la Maison.
Ma Comédie-Française, le livre d’Aliette Martin, est à la Maison de Molière ce que la série The Crown est à la couronne britannique : une histoire captivante toute à la gloire d’une institution soumise à l’épreuve du temps. Il passionnera les amateurs de théâtre, qui y trouveront une mine d’informations et d’anecdotes sur le Français ; il devrait aussi intéresser les amateurs d’histoire et de littérature, pour la rigueur intellectuelle de son récit et l’élégance de la plume de son autrice. Aliette Martin est, ce que l’on a coutume d’appeler, un personnage de l’ombre. C’est elle qui s’est occupée de la coordination de la programmation entre 1975 et 2017 pour les dix administrateurs qui se sont succédés, se retrouvant au cœur de son évolution artistique, aux premières loges de plus d’une centaine créations, au fait des doutes et désidératas de ses comédiens, et au centre des rapports de force qui sous-tendent le fonctionnement inhabituel de cette maison établie à la fin du XVIIe siècle.
Fille d’un haut fonctionnaire d’État, Aliette Martin s’est passionnée tôt pour le théâtre, et en particulier pour la Comédie-Française. Le terme « vocation », d’ailleurs, paraît bien faible pour dépeindre son attrait. « J’y ai vu tous les spectacles depuis environ soixante-cinq ans, écrit-elle, quarante-deux en son sein – à partir du 1er avril 1975, date de mon engagement par Pierre Dux. » Lequel cherchait une personne pour l’aider à organiser la programmation du théâtre. Il y aura ensuite Jacques Toja, Jean-Pierre Vincent, Jean Le Poulain et les autres… Jusqu’à l’administrateur actuel Éric Ruf.
On évitera de divulgâcher les anecdotes qui font le miel de ce livre, et même d’essayer de vulgariser les explications précises du fonctionnement quasi autogéré du théâtre, avec ses statuts séculaires et leurs multiples réformes. Mais tout y est. Les conflits entre Murielle Mayette-Holtz et une partie de la troupe, les tentatives rocambolesques (et un brin pathétiques) de Francis Huster pour prendre la tête de la maison, les difficultés à travailler sous la direction d’Antoine Vitez (qu’elle nomme « le prélat »), l’arrivée des nouveaux talents dans la troupe, de Bakary Sangaré à Clément Hervieu-Léger, des metteurs en scène étrangers et cette tension permanente qui font la particularité du Français, entre la grande tradition et l’inévitable modernité, qui garantit sa pérennité.
Aliette Martin écrit tout ce qu’elle pense, n’épargne personne, et dépeint avec précision et nuances ses états d’âme. Là est bien la force de son ouvrage : elle se raconte, en filigrane au travers de son métier, qui fut toute sa vie, avec beaucoup d’humour et d’autodérision. Cette femme aurait pu être écrivaine… Mais aussi patronne d’un lieu de culture, diplomate, (bonne) directrice des ressources humaines, et une sacrée psy pour acteur ! Dans sa préface, Denis Podalydès écrit : « En me relisant, je crois parler d’une psychanalyste. Eh bien ce n’est pas faux. » Nécessaire, ce livre est sans aucun doute, à ce jour, l’un des documents les plus précieux sur l’histoire récente du Français.
Igor Hansen-Løve – sceneweb.fr
Ma Comédie-Française, d’Aliette Martin (Les Éditions du Palais)
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !