Au Théâtre des Quartiers d’Ivry, son directeur Nasser Djemaï propose une évocation douce-amère de la vieillesse dont le propos humain et généreux s’égare dans l’incursion du surnaturel.
Pensée comme le pendant d’Invisibles qui mettait en scène des immigrés algériens de la première génération (Les Chibanis, cheveux blancs en arabe), la pièce Les Gardiennes, écrite cette fois pour une distribution exclusivement féminine, ouvre à son tour les portes d’une histoire familiale et sociale dans laquelle le conflit et l’incommunicabilité intergénérationnels pèsent de tout leur poids. Cette nouvelle création, écrite et mise en scène par Nasser Djemaï – la première en qualité de directeur du TQI – donne, comme toujours, à voir des figures et des situations issues du quotidien. Elle prend à nouveau pour cadre une pièce à vivre, un salon-salle à manger, chargé de tapis, de lambris, de livres, de quelques photos et bibelots… Si le goût décoratif paraît un brin suranné, ces nombreux objets semblent à dessein empreints du temps qui a passé. Ils donnent à l’espace une vibrante authenticité.
A centre, une vieille femme, Rose, clouée dans un fauteuil roulant, son poste de radio collé sur les genoux. Elle a perdu l’usage de ses jambes comme de la parole après une mauvaise chute. Autour d’elle, ses voisines et amies, se sont spontanément installées dans son appartement. Elles l’accompagnent en lui apportant l’attention et les soins dont, à leurs yeux, elle semble avoir besoin. Leurs maris sont morts, leurs enfants sont partis. Ces femmes, sœurs de lutte (elles sont anciennes ouvrières de l’industrie textile) ont résisté aux tempêtes et aux drames et font désormais le choix de finir leurs jours ensemble, solidement unies « comme des petites abeilles autour de leur reine » dit l’une d’elles. A travers cette ruche bourdonnante, Nasser Djemaï célèbre, non sans humour et avec une pointe de nostalgie, un bel esprit de communauté doublé d’un fort élan de solidarité.
Victoire, la fille de Rose, est une femme « moderne » au prénom conquérant. Récemment divorcée, accaparée par le travail et les enfants, elle court après le temps. Quand elle débarque bien décidée à placer sa mère dans une maison de santé et mettre en vente l’appartement pour financer son projet, la situation débouche sur une guerre insoluble faisant s’opposer son lucide pragmatisme à la légèreté frondeuse des vieilles femmes méprisées. Autant ce personnage, malgré ses forces et ses fragilités, n’attire pas une évidente sympathie, autant les vieilles femmes sont irrésistiblement attachantes. La pièce donne tout loisir de les aimer, ces grandes dames âgées encore traversées de désirs et toujours éprises d’une folle liberté.
Les dialogues traînent un peu en longueur et ce qui se laisse découvrir n’échappe pas à certains simplismes ou clichés. Pour autant, on se laisse tour à tour amusés et touchés par l’humanité déployée dans la pièce qui profite largement du naturel confondant et de la délicieuse impertinence de ses interprètes. En revanche, lorsque la réalité présentée glisse vers un univers fantastique et finit engluée par un marécage fuligineux au sein duquel les gardiennes, silhouettes noires, longue chevelure, s’apparentent à de mystérieuses magiciennes ou des sorcières de sabbat faisant des incantations obscures et convoquant les fantômes, alors la pièce paraît moins convaincante. On préfère largement chez Nasser Djemaï son talent d’ancrer le théâtre dans l’intimité humaine et les sujets de société.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Les Gardiennes
Texte et mise en scène Nasser Djemaï • Avec Claire Aveline, Coco Felgeirolles, Martine Harmel, Sophie Rodrigues, Chantal Trichet • Dramaturgie Marilyn Mattéï • Regard extérieur Mariette Navarro • Assistanat à la mise en scène Rachid Zanouda • Scénographie et costumes Claudia Jenatsch • Création lumière Laurent Schneegans • Création sonore Frédéric Minière • Création vidéo Nathalie Cabrol • Maquillage Cécile Kretschmar • Régie générale Léllia Chimento
Production Théâtre des Quartiers d’Ivry – CDN du Val-de-Marne
Coproduction Maison de la Culture de Bourges – Scène nationale, Théâtre de Sartrouville et des Yvelines – CDN, Théâtre de l’Union – CDN du Limousin, Le Volcan – Scène nationale du Havre, Théâtre National Populaire, CDN Rouen-Normandie, Châteauvallon – Liberté, Scène nationale, Fontenay-en-scène, Théâtre.s de la Ville de Luxembourg.
Avec l’aide de la Région Ile-de-France
Avec le soutien de la MC2 : Grenoble pour la construction du décor et de Châteauvallon-Liberté – Scène nationale dans le cadre d’une résidence de création.
Éditions Actes Sud-Papiers, 2022Durée 2h
Création au Théâtre des Quartiers d’Ivry – CDN du Val-de-Marne
du 9 au 25 novembre 2022Le Volcan, Scène nationale du Havre
29-30 novembre 2022Théâtre de Villefranche, Scène conventionnée
9 décembre 2022MC2: Grenoble, Scène nationale
14-15 décembre 2022CDN de Normandie Rouen
6-7 janvier 2023Théâtre de l’Union – CDN du Limousin
11-13 janvier 2023Maison de la Culture de Bourges, Scène nationale
19-21 janvier 2023Théâtre de Sartrouville et des Yvelines – CDN
25-26 janvier 2023Les Passerelles, Pontault-Combault
3 février 2023L’Estive, Scène nationale de Foix et de l’Ariège
7 février 2023Théâtre Molière – Sète, Scène nationale Archipel de Thau
10 février 2023MA Scène nationale – Pays de Montbéliard
28 février 2023Théâtre du Nord, CDN Lille Tourcoing Hauts-de-France
16-18 mars 2023
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !