Baal de Brecht, un animal brut et touchant

Baal – photo Simon Gosselin

Armel Roussel revisite la première pièce de Bertolt Brecht. De Baal, il libère la bête fauve et célèbre son éruptive et sauvage liberté.

C’est un chien, c’est un porc, c’est une bête, une brute, un animal sale et affamé, d’une laideur à faire peur… Les mots ne manquent pas dans le texte de Baal pour renvoyer et réduire le personnage éponyme à sa troublante et inconvenante animalité. Certes décrit sans reluisance, mais jouissant d’une aura magnétique, l’iconoclaste Baal autour de qui tout tourne dans la pièce, est instinctivement plein de soif et d’appétit pour l’outrance et l’outrage. Baal bouffe férocement la vie, boit comme un trou et est perpétuellement ivre. Sans limite, sans attache, il désire et malmène les femmes comme les hommes. Il se compromet, s’évade, se perd, ne respecte rien ni personne. Baal, c’est aussi un poète, un rêveur qui aspire à la douce fraicheur de l’air, de la nature et de la nuit qu’il contemple, qui s’éprend de beauté, qui croit en la poésie. Les pieds solidement ancrés dans la terre, la tête portée vers les étoiles. C’est tout cela Baal, une figure éternelle d’insoumission et d’inadaptation aux carcans étroits du monde.

La mise en scène aussi simple que directe et concrète d’Armel Roussel n’est pas sans écho à la violence et à la vanité de la société contemporaine. Le décor est celui d’une vaste salle de café-bar, de bal ou de cabaret dans laquelle s’agglutine une faune de soiffards et de prostituées désœuvrés. Une enthousiasmante troupe d’acteurs traversée de l’énergie rageuse et de la mélancolie de la pièce joue tous les rôles avec une franche jubilation, et met en évidence combien la relation à l’autre et le rapport au monde sont dans Baal de puissants et organiques corps à corps, conflictuels et étreignants.

Brecht n’a pas encore vingt ans lorsqu’il écrit Baal dans l’immédiate après-guerre. Dans ce premier texte théâtral, aussi mal aimable que son personnage, Baal ne figure pas autre chose qu’une sorte de double biographique de son jeune auteur dépourvu de la moindre illusion. Aujourd’hui, Baal est campé avec génie par un jeune acteur qui, sorti il y a peu de sa formation théâtrale, a déjà tout de l’étoffe d’un grand. C’est Anthony Ruotte. L’allure tendre et gaillarde, le tempérament bouillonnant, il fait fougueusement éclater toute l’ardeur et l’impudeur du personnage dont il exalte la liberté et l’entièreté radicales. En plus de ne faire qu’une bouchée de ce rôle écrasant, il le met à nu, physiquement et symboliquement. Si bien que Baal, tel qu’il est montré, gagne en profonde humanité. Et si parfois, à l’évidence, il suscite le rejet, il parvient aussi à inspirer une certaine empathie. C’est la force de l’interprétation du comédien mais également celle de la vision du metteur en scène. « Je dois avouer que j’aime Baal » déclare Armel Roussel qui nous le fait aussi aimer.

Christophe Candoni – www.sceneweb.fr

Baal de Brecht

Mise en scène Armel Roussel

Avec
Edson Anibal, Romain Cinter, Émilie Flamant, Pierre-Alexandre Lampert, Vincent Minne, Berdine Nusselder, Éva Papageorgiou, Anthony Ruotte, Lode Thiery, Uiko Watanabe

Traduction Eloi Recoing (© L’Arche, 2017)

Collaboration dramaturgique : Jean-Gabriel Vidal

Scénographie Clément Losson

Création lumière Stéphane Babi Aubert

Création musique et son Pierre-Alexandre Lampert

Création costumes Odile Dubucq

Assistanat à la mise en scène – Production et diffusion Alex Sartoretti

Direction technique Yorrick Detroy

Régie lumière Gwenaël Laroche

Directeur de Production Camille Grange

Responsable médiation culturelle Romain Cinter

Attachée de presse Patricia Lopez

Production (e)utopia/Armel Roussel

Coproduction Théâtre Varia – Centre Dramatique de la Fédération Wallonie-Bruxelles ; Théâtre du Nord – CDN Lille Tourcoing Hauts-de-France ; La Coop asbl et Shelter prod

Avec l’aide de la Fédération Wallonie-Bruxelles-Service du théâtre ; Centre des Arts Scéniques

Avec le soutien de taxshelter.be, ING et du tax-Shelter du gouvernement fédéral belge ; Wallonie-Bruxelles Théâtre-Danse.

(e)utopia est sous contrat-programme avec le Ministère de la Culture de la Fédération Wallonie-Bruxelles

« La pièce Baal de Bertolt Brecht (traduction Éloi Recoing) est publiée et représentée par L’ARCHE-éditeur & agence théâtrale. www.arche-editeur.com ».

Durée : 2h30

Théâtre de la Tempête (Cartoucherie)
Du 2 au 23 juin 2023