Couronné de 2 Molières 2023 (meilleure autrice et meilleur second rôle masculin) , ce conte oriental moderne mêle les récits, les époques, les illusions perdues, les secrets enfouis et nous fait passer du rire aux larmes avec maestria.
Après l’Algérie des années 80, l’Iran des années 70. Pour la deuxième fois, l’autrice et comédienne Aïda Asgharzadeh confie à Régis Vallée, fidèle compagnon de route, la mise en scène de sa nouvelle pièce. Après La Main de Leïla qui avait emmené l’équipe en terre algérienne afin de s’abreuver à la source de son inspiration, Les poupées persanes les a conduit en Iran sur les traces d’un pays à la culture séculaire, sur les traces d’un peuple sacrifié sur l’autel des régimes politiques successifs, sur les traces de ses révolutions et de ses exils déchirants, afin de toucher au plus près les racines d’une histoire romanesque en diable et pourtant puisée dans le réel, dans l’héritage familial de l’autrice.
Dès le début, on entre dans le territoire du conte, des récits que l’on se transmet de génération en génération et l’on plonge de plain-pied dans ce voyage à deux vitesses qui confronte deux époques et deux pays, l’Iran des années 70 et la France à l’aube de l’an 2000. Et l’on reconnaît immédiatement ce goût partagé par Aïda Asgharzadeh et Régis Vallée pour les histoires qui prennent aux tripes, pour le romantique et l’épique mêlé, pour les fictions qui réparent les fractures de l’Histoire. Au plateau, des « anciens », fidèles de la première aventure, Aïda Asgharzadeh, Kamel Isker et Azize Kabouche que rejoignent trois « nouveaux », tout aussi excellents Sylvain Mossot, Toufan Manoutcheri et Ariane Mourier, adoubée par deux Molières récemment, celui de la Révélation théâtrale en 2019 pour Le Banquet de Mathilda May et celui du Second Rôle cette année dans Comme il vous plaira mis en scène par Léna Bréban. Equipe de choc d’interprètes caméléons pour interpréter les nombreux personnages de la pièce, aidés par l’ingéniosité des costumes de Marion Rebmann (déjà présente sur La Main de Leïla) qui a le chic pour dessiner des silhouettes expressives et brosser une galerie de personnages en jonglant entre les styles et les références.
D’une scène à l’autre, on passe en effet d’un pays à un autre, d’une époque à l’autre en un rien de temps et les décors mobiles participent de la fluidité des enchaînements. C’est ainsi que le récit nous entraîne dans les zones de turbulence de l’Histoire, entre la chute du Shah et l’arrivée au pouvoir du régime islamique. C’est ainsi que l’on fait la connaissance de deux sœurs en vacances aux sports d’hiver avec leur mère à la veille du passage tant redouté à l’an 2000. Et de péripéties en aventures, se tressent petit à petit les deux récits et se dévoile l’histoire familiale enfouie sous les silences et les non-dits, sous la souffrance et les déchirements. Car on ne vous le cache pas, on pleure à chaudes larmes devant ces « poupées persanes » qui ne renoncent pas à nous emmener sur des terrains émotionnels puissants mais l’on rit aussi devant nombre de scènes drolatiques, nées sous la plume pleine de vie d’Aïda Asgharzadeh. Plume trempée dans un passé familial douloureux, rehaussée d’humour, de vitalité et de l’ardeur à créer de cette artiste tout terrain qui déploie ses talents au plateau autant que dans les mots.
Ces « poupées persanes » s’inscrivent indubitablement dans la veine d’un théâtre narratif hérité de l’œuvre de Wajdi Mouawad, fer de lance d’un théâtre identitaire hautement émotionnel qui ne craint pas de mettre ses mains dans le cambouis de l’Histoire et de tresser présent et passé pour mieux nous réconcilier avec nous-mêmes. Aïda Asgharzadeh en est la digne héritière et Régis Vallée rend grâce une fois de plus à son écriture bouleversante.
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
Les poupées persanes d’Aïda Asgharzadeh
Mise en scène : Régis Vallée
Avec : Aïda Asgharzadeh, Kamel Isker, Azize Kabouche, Toufan Manoutcheri, Sylvain Mossot, Ariane Mourier
Lumières : Aleth Depeyre / Costumes : Marion Rebmann / Musique : Manuel Peskine / Scénographie : Philippe Jasko
Une co production Acmé, Théâtre des Béliers, Atelier Théâtre ActuelDurée : 1h20
à partir du 14 septembre 2023 à la Pépinière Théâtre
du mardi au samedi à 21h. samedi à 16h
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