L’artiste haïtien met en scène L’Amour telle une cathédrale ensevelie, le deuxième volet de sa trilogie consacrée à l’exil. Il mélange les genres, détourne les clichés et propose une pièce d’une puissance renversante.
L’ouverture est une scène de la vie conjugale, pleine de bile et de ressentiment ; une scène de la vie conjugale violente et odieuse, mais étrangement rodée, comme si nous avions à faire à deux adversaires sur un court de tennis qui se connaissent par cœur. L’affaire, on l’apprendra, se déroule à Montréal. Dehors, il pleut des trombes d’eau. Des gouttes projetées ruissellent sur un grand écran, devant les acteurs. Elle est à gauche, il est à droite. Elle est noire, il est blanc. Elle est jeune, il est plus âgé. Et elle lui en veut. À mort. On pourrait être chez Bergman où les couples se détruisent avant de se quitter. Mais le problème est autre. Il est politique. Il est aussi filial. Les informations, doucement, s’agencent comme les pièces d’un puzzle. Elle, qui est haïtienne, est arrivée au Canada par l’entremise de son fils. Sur Internet, ce dernier lui a « trouvé » un retraité (l’homme au plateau), pour qu’elle profite du confort nord-américain. Jusqu’ici, tout s’est passé comme prévu. Mais à son tour, sur un bateau de fortune, l’enfant s’en est allé rejoindre sa mère. Mais depuis deux mois, il ne donne plus des nouvelles.
Guy Régis Junior est hanté par l’exil. Banalement et tragiquement, comme beaucoup d’Haïtiens. « J’ai tellement vu de ces gens, pères et mères désespérés, fils et filles désœuvrés, ces derniers allant jusqu’à cesser toutes leurs activités, laissant même les bancs de l’école, pour apprendre l’anglais, s’acharner à être plus prêts, plus proches de leur seul rêve escompté, de cette réalité future. Primant une cessation de vie pour celle neuve à laquelle ils se préparent, explique-t-il en guise d’introduction au spectacle. Son père (dont l’histoire a inspiré la première partie de la trilogie) a quitté le foyer sans crier gare, pour s’installer aux États-Unis, et sans plus jamais donner de nouvelles. Sa disparition hante le travail de son fils. Sa vraie-fausse mort (symbolique) le traverse comme une plaie béante.
Tel est le contexte. La pièce, elle, tient sa réussite à sa façon de s’emparer des clichés, pour les détourner de façon surprenante. Il y a donc ce couple qui se dispute dans un appartement bourgeois, avant de bifurquer vers les réels motifs de l’angoisse et du ressentiment maternel. Il y a ensuite, dans la deuxième partie du spectacle (la plus réussie), ces images vidéo de migrants entassés sur des rafts qui prennent l’eau et se noient en mer, tandis qu’au-devant de la scène, un chœur (brillamment dirigé par Amos Coulanges) évoque un lyrisme sacré, mêlant des sonorités opératiques, des rythmes caribéens et le créole haïtien ; la musique, ici, (re)donne une charge inédite à la banalité de ce mal actuel, travesti, entre autres, par son traitement dans l’actualité. Et enfin, de retour dans l’appartement montréalais, il y a cette réconciliation (ou cette explication tout du moins), entre les deux protagonistes qui acceptent de se parler. Il la rassure, elle l’écoute. Elle lui explique, il essaie de comprendre. La parole ouvre des brèches. Peut-être le travail sera-t-il insurmontable. Mais malgré l’horreur, l’amour est bien-là, enfoui en dessous.
Présentée aux Francophonies en Limousin, L’amour telle une cathédrale ensevelie s’inscrit dans une trilogie sur la question de l’exil, nommée « dépeuplement », signée par l’artiste haïtien Guy Régis Junior (entre Le Père puis Et si à la mort de notre mère). Le metteur en scène, à l’œuvre imposante, a saisi le public du festival limougeaud, vendredi 30 septembre, qui, le soir de la première, offrit à la troupe un standing ovation. Forcément renversante (pour son sujet), mais puissante en diable, inévitablement pétrifiante (à cause de son actualité), mais intelligemment mise en scène, cette création part donc en tournée sous les meilleurs auspices.
Igor Hansen-Løve – sceneweb.fr
L’Amour telle une cathédrale ensevelie
De et mis en scène par Guy Régis JrAssistante à la mise en scène Hélène Lacroix
Avec Nathalie Vairac, Frédéric Fachena, Dérilon Fils, Déborah-Ménélia Attal, Aurore Ugolin, Jean-Luc Faraux
Compositeur et guitariste Amos Coulanges
Scénographe Velica Panduru
Réalisatrice Fatoumata Bathily
Créatrice lumière et régie lumière Marine Levey
Régie générale et régie plateau Samuel Dineen
Régie vidéo Dimitri Petrovic
Production NOUS Théâtre
Coproduction Les Francophonies, des écritures à la scène ; le Théâtre Nanterre-Amandiers – Centre Dramatique National ; le Théâtre de l’Union – Centre Dramatique National du Limousin ; l’Académie de France à Rome – Villa Médicis ; l’Association 4 Chemins ; la Compagnie La Lune Nouvelle
Avec le soutien financier de la DRAC Ile-de-France, de la Région Ile-de-France, de la Ville de Paris, de la Commission Internationale du Théâtre Francophone, de l’Institut Français à Paris, du Fonds SACD Musique de Scène, de l’Organisation Internationale pour les Migrations, de l’ADAMI
Et le soutien du Collectif 12, du Théâtre 14, de la Chartreuse – Centre national des écritures du spectacle, de la Cité Internationale des Arts.
Durée : 1h30
Création au Festival Francophonies, des écritures à la scène
Centre Dramatique National ; le Théâtre de l’Union
Vendredi 30 Septembre 2022 – 20h30
Samedi 1 Octobre 2022 – 18h00Théâtre de la Tempête
du 11 novembre au 11 décembre 2022
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