Aux Célestins, à Lyon, Claudia Stavisky réussit son pari de transposer les trois comédies de La trilogie de la villégiature du vénitien Goldoni en une longue saga italienne des années 50. Grâce à une troupe de talent, la critique de la bourgeoisie du XVIIIème prend aussi la forme d’une réflexion sur l’évolution des relations amoureuses et sociales.
Une comédie de 3h45, entracte compris. Il y a de quoi s’épuiser de rire. Ou que le rire ne s’épuise. Mais c’est sans compter sur les nuances et la profondeur de La trilogie de la villégiature de Goldoni. Un texte qui se déploie tranquillement, une pièce en trois comédies qui creusent progressivement leurs personnages, les affine, et construisent un puzzle de relations amoureuses où l’argent et le sentiment tentent de faire bon ménage. Le pari de Claudia Stavisky est tenu. Sa Trilogie téléportée dans l’Italie des années 50 tient très bien la route, portée par une tribu d’acteurs et actrices aux compositions variées.
Histoires d’amour et d’argent. C’est le cocktail traditionnel agrémenté d’un trait de réputation qui lui donne sa jolie couleur. Ici, à Livourne, la bourgeoisie tient à montrer qu’elle est fortunée et populaire, comme on dit aujourd’hui. Elle tente donc d’amener avec elle en vacances – on parle alors de villégiature – le plus d’amis possible, d’organiser dans ces résidences secondaires des repas savoureux et d’assurer le divertissement de toute une tribu. Pourtant attendent dans les tiroirs les factures des tailleurs, pâtissiers et autres avocats que lesdits bourgeois n’ont pas encore réglées. Ils sont deux, Léonardo et Filippo qui se tirent ainsi la bourre. Les voitures patientent. Les domestiques ont rempli les malles. On est sur le départ. Mais des histoires d’amour grippent les plans. Léonardo est amoureux de la fille de Filippo, Giacinta, qui a décidé d’emmener dans sa villégiature un certain Guglielmo…
Toutes ces histoires pourraient paraître un peu rebattues. Et c’est le sentiment qui traverse la scène au début. Patience. La trilogie se met en place. L’écriture révolutionnaire de Goldoni, qui a bouleversé au XVIIIème le paysage de la comédie italienne installe petit à petit ses caractéristiques. Les chefs de famille sont veules et doux. Les femmes coquettes et de caractère. Les vieilles badernes amusent la galerie. Et les questions d’argent trouveront une solution grâce au vertueux, raisonnable, très sage Fulgenzio. Si la visée de l’auteur italien est moralisatrice – « je voulais faire connaître dans la première pièce la passion démesurée des Italiens pour les parties de campagne ; je voulais prouver par la seconde les dangers de la liberté qui règne dans ces sociétés » écrit-il dans sa préface – un œil contemporain, encouragé par la transposition de la pièce dans la liberté frémissante de l’Italie des années 50, y voit davantage les signes plaisants d’une souhaitable émancipation conjuguée à la traditionnelle critique des apparences qui prennent tant de place chez les bourgeois.
Sur scène, dans une scénographie un brin écrasante – vastes murs, hauts et imposants sur lesquels se projettent notamment les couleurs des saisons (pastel printemps, été vert à la campagne, et orages de l’automne) – les comédiens et comédiennes déroulent chacun une partition qui sent bon la liberté d’interprétation. Dans un registre quasi burlesque hautement maîtrisé, Pauline Cheviller parvient ainsi à faire paraître touchante la super superficielle Vittoria. Plus posée et intérieure, Savannah Rol rend le personnage clé de Giacinta absolument captivant. Et le perfide Ferdinando, langue de vipère et pique assiette tient à merveille par l’entremise de Daniel Martin son rôle d’amuseur public. Toute la distribution – qu’on ne peut citer ici dans son intégralité – est à l’avenant. Chacun parvient à construire des personnages qui aussi caractéristiques soient-ils parviennent à prendre des contours particuliers.
Ainsi, crescendo, La Trilogie de Goldoni – Stavisky prend une forme séduisante. Entre deux airs connus – Volare ou Tu vuo fa l’americano – la metteuse en scène dit vouloir concilier comédie populaire et dimension tchekhovienne du texte. Elle construit surtout un spectacle qui laisse la part belle au jeu et met en valeur les nuances et spécificités de l’écriture de Goldoni. Ni épuisé de rire, ni dans rire qui s’épuiserait, le spectateur traverse ainsi les âges d’une comédie sociale, éternelle et sans cesse renouvelée, avec ses vanités et son humanité qui trouvent ici de jolies couleurs.
Eric Demey – www.sceneweb.fr
La trilogie de la villégiature
Texte Carlo Goldoni
Mise en scène Claudia Stavisky
Avec Frédéric Borie, Éric Caruso, Pauline Cheviller, Maxime Coggio, Christiane Cohendy, Anne de Boissy, Benjamin Jungers, Lise Lomi, Daniel Martin, Marin Moreau, Bruno Rafaelli, Julie Recoing, Savannah Rol
Traduction et version française Myriam Tanant adaptées par Claudia Stavisky
Scénographie Christian Fenouillat
Costumes Graciela Galan assistée de Bruno Torres
Lumière Franck Thévenon
Son Aline Loustalot, Jean-Louis Imbert
Vidéo Étienne Guiol
Assistanat à la mise en scène Alexandre Paradis
Construction décor Atelier Prélud
Construction mécanique Atelier Sumo
Toiles imprimées Atelier Devineau
Draperie scénique Atelier Azur ScenicTeviloj
Accessoiristes Virginie Azario, Juliette Dubernet
Responsable couture, habillage et coiffure Bruno Torres
Régisseur général Laurent Patissier
Régisseurs plateau Fabien Barbot, Juliette Dubernet, Éléonore Larue, Mattia Lercari, Bertrand Pinot Régisseurs lumière Frédéric Donche, Daniel Rousset, Jérôme Simonet
Régisseurs audiovisuel Barbe Chloé, Cédric Chaumeron, Pierre Xucla
Cintriers Gilles Demarle, Damien Felten
Costumiers réalisateurs Marie-Bénédicte Betemps, Natacha Costechareire, Nathalie Jambon, Marion Mercier, Marion Thouroude, Béatrice Vermande, Fabienne Guidon, Samy Douib
Couturiers Florian Emma, Julie Mathys
Habilleurs Natacha Costechareire, Florian Emma
Machiniste Noël Demoux
Maquillage et coiffure Kim Ducreux
Durée : 3h45 entracte compris
Du 20 septembre au 8 octobre 2022
Théâtre des Célestins à Lyon
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