La 14ème édition des Scènes Ouvertes à l’Insolite (SOI) nous mène à la rencontre de jeunes talents des arts de la marionnette et du théâtre d’objets. On y découvre notamment l’Espagnole Andrea Díaz Reboredo qui, avec les premières françaises de son spectacle M.A.R nous invite à une passionnante traversée du temps, par le corps et l’objet.
À l’occasion de la 14ème édition du festival Scènes Ouvertes à l’Insolite (SOI), la directrice du Mouffetard – Théâtre des arts de la marionnette Isabelle Bertola, exprime dans Le Monde du 8 juin 2022 l’insuffisance de son lieu pour le champ artistique en plein développement auquel il est dédié. Son appel à la création d’un nouveau théâtre parisien pour cette discipline n’est pas isolé : il fait suite à une lettre ouverte adressée par des artistes aux pouvoirs publics en octobre dernier, déplorant « le fait que le Théâtre Mouffetard ne soit plus en adéquation avec la diversité, l’ampleur et les exigences de la création actuelle ». Il est vrai qu’à l’heure où se multiplient les grandes formes en marionnettes et théâtre d’objets – on pense par exemple aux créations d’Alice Laloy ou d’Yngvild Aspeli –, la petite scène du théâtre parisien fait pâle figure.
Ce n’est pas là, mais dans des lieux généralistes, Centres Dramatiques Nationaux et autres, ainsi que dans les festivals spécialisés ou non que l’on a pu découvrir les créations les plus exigeantes en matière humaine et technique de ces dernières années. La création du label Centre National de la Marionnette (CNMa) par l’État en 2021 – sept scènes sont déjà conventionnées, dont Le Mouffetard – rend d’autant plus problématique pour le secteur le manque de perspective de diffusion parisienne. Dédié à « l’expérimentation et aux manipulations en tous genres avec des créations pensées par de jeunes compagnies, des étudiants tout juste diplômés ou des artistes bricoleurs de génie », dit Isabelle Bertola dans son édito, la biennale n’en est pas moins l’occasion de découvrir des artistes qui compteront demain. Alice Laloy, Yngvild Aspeli, mais aussi Renaud Herbin ou encore Bérangère Vantusso, sont passés par là.
Chaque soir de festival, plusieurs parcours sont offerts au spectateur, qui peut ainsi se laisser aller à la découverte d’univers différents. Cela au Mouffetard ou bien à Théâtre aux Mains Nues, partenaire de longue date du Théâtre des arts de la marionnette mais nouveau venu dans l’aventure SOI. Deux spectacles Hors parcours, plus longs que les autres, complètent la programmation. Le premier, PIGS de Raquel Silva, formée à l’école de Théâtre aux Mains nues, a ouvert l’édition. Le deuxième, M.A.R d’Andrea Díaz Reboredo, en a assuré la mi-temps avec une grâce déjà bien reconnue en Espagne, en particulier à Madrid au Nouveau Théâtre Fronterizon où est basé le Groupe de recherche plastique et scénique qu’elle dirige depuis 2013. En France toutefois, c’est en presque inconnue que l’artiste est venue nous inviter à sa table.
Cette table recèle tant de récits, tant de secrets que l’espace d’une heure, la petite salle de Théâtre aux Mains où nous accueille l’artiste avec son traducteur est assez grande pour contenir cent ans d’Histoire. Car plus encore qu’un voyage géographique, c’est une traversée temporelle que nous offre M.A.R : ce sont en effet pas moins de cent ans de l’histoire d’une maison familiale que vient raconter l’artiste. Ou plutôt, ce sont ces cent ans tels qu’ils lui sont parvenus, tels qu’elle les a imaginés aussi sans doute. Seule en scène, éclairée par la faible lueur d’un plafonnier, Andrea Díaz Reboredo a beau utiliser la première personne pour dérouler sa narration, rien ne précise jamais la part de vécu personnel qu’elle y met, ni la part d’invention. Qu’importe. Que sa chronique qui commence en 1902 pour s’achever dans les années 2000 soit entièrement fidèle à la réalité ou pas, elle oppose à l’oubli une volonté farouche de garder le passé bien vivant, d’en faire une source où puiser ce qu’il peut nous manquer de forces, ou d’imaginaire.
Le souvenir que choisit Andrea Díaz Reboredo pour ouvrir M.A.R en dit long sur le rapport qu’elle entretient à la fois avec le passé et avec sa famille. Les repas qu’elle évoque, à la fin desquels tout le monde se mettait à dessiner sur la nappe en papier, sont pleins de la tendresse et du respect qu’on éprouve pour toute chose qui continue de nous constituer malgré le temps ou la distance qui nous en sépare. Les souvenirs qui suivent sont à l’avenant. Racontés avec une grande douceur par l’artiste, dans une langue à la poésie délicate, ils surgissent selon un ordre chronologique régulièrement perturbé par une mémoire qui a ses failles et ses fantaisies. On s’en doute dès lors qu’il est programmé par Le Mouffetard, M.A.R n’use pas que des mots pour reconstituer les liens que, en reprenant le terme du philosophe Bert Hellinger, l’artiste qualifie de « constellations familiales ».
De sa table, Andrea Díaz Reboredo sort tout ce qu’il lui faut pour construire une maison miniature qu’elle réduit vite à néant. Elle trouve aussi de quoi faire surgir un paysage, et même toute une ville qui, elle aussi, a vite fait de se retrouver réduite à un empilement de cartes. À presque rien, où peuvent pourtant être écrites bien des choses. À son geste de construction, la plasticienne joint un geste chorégraphique qui traduit bien la part de rêve, d’imaginaire que contient tout récit architectural, qu’il concerne un édifice consacré à l’intimité autant qu’à un usage public. Prenant la suite de son aïeul Andres, architecte qui a construit la maison au cœur de M.A.R, Andrea accompagne d’ailleurs sa chronique d’une réflexion sur l’architecture, avec autant de grâce et de poésie que lorsqu’il s’agit d’évoquer les naissances et les morts, les joies et les drames d’êtres que pour la plupart elle n’a connu que par procuration. La complexité, la richesse que M.A.R recèle sous sa surface toute simple est aussi belle que passionnante. Si cette pièce prouve la capacité du théâtre d’objets de dire beaucoup avec peu, elle ne doit pas faire oublier les manques évoqués plus tôt en matière d’espaces parisiens dédiés au théâtre de marionnette.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
M.A.R
Auteure et interprète : Andrea Díaz Reboredo
Metteur en scène : Xavier Bobés Solà
Scénographie : Andrea & Pablo Reboredo(s)
Musique (création et interprète) : Dani LeónDurée : 1h
Festival MIMA – Mirepoix (59)
Août 2022
Festival Marionnettissimo – Toulouse (31)
Les 25 et 26 novembre 2022
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