Macha Makeïeff va quitter cet été La Criée de Marseille après avoir diriger le CDN pendant 11 ans. Robin Renucci lui succède. La metteuse en scène dresse son bilan et présente sa saison 2022/2023 qui fait une large place à de grandes figures féminines du théâtre.
« L’ultima ! Voilà ma dernière programmation de théâtre avec musique, cirque, danse, littérature, cinéma, édition, festival pour l’enfance et l’adolescence, que j’ai composée pour La Criée avec Charles Mesnier. 2011-2022. Onze saisons ont passé, toutes, riches, surprenantes, séduisantes. Vous avez été chaque saison plus nombreux, fidèles, attentifs, renouvelés, divers, rajeunis. Toujours plus d’artistes talentueux et contrastés. Toujours plus de femmes artistes à leur place de créatrices. Avec Alexandre Madelin, et depuis le premier jour, il y a eu des séquences difficiles et nos victoires, la transformation du bâtiment, le poison de l’amiante maitrisé, le Nouveau Hall avec le si beau geste d’architecture de Wilmotte, nos deux salles restaurées, des matériels renouvelés, le travail collégial, et surtout, surtout des équipes heureuses, le dialogue social, l’estime et l’amitié. Emmener le paquebot dans de belles traversées avec des risques et des avis de tempêtes et toujours bien revenir à quai.
La Criée rayonne dans des liens inscrits dans la topographie de la ville et sur le territoire, jusqu’à Nice et Toulon, avec la Maison Jean Vilar, le Festival d’Avignon, le Musée des Tapisseries et le Muséum d’histoire naturelle de la Ville d’Aix… Que d’aventures qui ont tissé des liens et des itinéraires depuis le Mucem jusqu’au Quai de Rive-Neuve, depuis La
Friche jusqu’au Cirva, du Gymnase au ZEF, d’Aix-Marseille Universités au Conservatoire, de la Paternelle à Noailles !… Il y a eu l’entrée historique de la Région et du Département dans les destinées de La Criée aux côtés de l’État et de la Ville que je souhaitais tant ; il y a eu Marseille capitale européenne de la Culture, MP18 Quel amour !, la mallette artistique, avec ExtraPôle,
Les 4 As… Une aventure partagée avec des partenaires sociaux et artistiques exemplaires et généreux. Bientôt un numéro de CRI-CRI retracera l’historique de ces 11 ans, liens et alliés par l’écriture et le savoir, artistes, et penseurs, universitaires, scientifiques, et l’ardeur des équipes du théâtre. Et encore, l’inspiration singulière que donnent tous les arts mêlés, la part gratuite, la solution par la beauté, la fiction et l’imaginaire partagé. Toutes les premières fois multipliées pour celles et ceux qui n’avaient pas encore poussé la porte d’un théâtre. Avec pour les nourritures terrestres, nos amis des Grandes Tables, et ce qu’il y a de meilleur, de plus créatif au quotidien.
Parmi les thèmes qui traversent la saison 22/23, un premier grand sujet : L’Autre, ce personnage, l’intrus, l’étranger, le proche indéchiffrable, le presque soi, le salaud, le sublime, l’effacé, l’héroïne. L’expérience de l’Autre dans la salle de spectacle, assis dans le noir près de moi, cet anonyme avec qui je partage le désir de voir et l’étonnement.
Enfin, cet Autre qu’est l’artiste qui surgit sur la scène, qui est-il, qui est-elle ? Une interrogation vive sur celui, celle que l’on croirait un danger, alors qu’il nous éclaire, nous décale, nous ouvre vers un ailleurs et son mystère. Il est une promesse, pas un obstacle. Et le théâtre propose cette investigation au travers des poètes.
Dans ce récit qu’est la saison nouvelle la place est faite à de grandes figures féminines, Jeanne Balibar, Delphine Seyrig, Patricia Petibon, Páscoa, Frida Kahlo, Rosemary Standley, Dom La Nena, Liya Petrova, Miet Warlop, Angélica Liddell, Sophie Perez, Phèdre, Dafne, Electre, Karelle Prugnaud, Carminho, Fanny Soriano et d’autres si passionnantes…
Je ferai alors l’éloge de la troupe, des auteurs, autrices qui écrivent, composent inventent pour cette tribu curieuse des comédiens, pour nos saltimbanques, ces ambulants qui se posent sur scène, nouent, remballent puis reprennent leur chemin.
La Criée existe comme un théâtre où la création est première, où la confiance accompagne les poètes. L’exercice est excitant de suivre le geste artistique qui n’existe pas encore, s’invente et se révèlera le soir de la Première.
( …)
Nous avons vérifié que grâce au théâtre parce qu’il sublime, le monde n’est plus tout à fait désenchanté. Devant les événements ressentis, la clameur se fait entendre depuis l’intérieur de soi. Ce tracé de feu, de pensée, de sensibilité, cette expansion, cette excitation à ressentir, à comprendre, voilà ce qui s’offre sur la scène.
Je salue nos amis et partenaires qui nous accompagnés avec élégance, pour leur intelligence bienveillante, leur compréhension de la vie des artistes, des destinées d’une maison de théâtre depuis Agnès b. la première jusqu’à Marie-Pierre Fabre ! Les fidèles Robert Fouchet, Hervé Castanet et Jean Bellorini pour notre intense partenariat artistique. Je vous salue, vous, spectateurs, spectatrices, coeur battant, jeunes, enfants des écoles et des quartiers de Marseille partout dans la maison que j’ai tant aimé voir dans nos salles pleines et croiser dans le Nouveau Hall, pour des échanges furtifs ou longs, si précieux. Sachez les uns et les autres ma gratitude.
J’aime laisser à cette maison au travers d’un projet, de partenaires, d’alliés, d’une équipe magnifique, un élan d’avenir. Une autre page que mon successeur, Robin Renucci, va écrire à qui je souhaite le meilleur dans ce théâtre heureux.
Comme directrice, je quitte le navire. Comme artiste, je prends la mer encore pour l’invention, la fantaisie, le partage. Ma compagnie désormais aixoise, se nomme Mademoiselle.
Ferai-je une déclaration d’amour à mon équipe, au public de La Criée, à nos alliés, est-ce vraiment l’usage après une traversée de 11 ans et ses 11 saisons ?
Voilà, c’est fait, c’est dit. On s’est aimés. »
Macha Makeïeff
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