Dans Una imagen interior (Une image intérieure), Tanya Beyele et Pablo Gisbert de la compagnie espagnole El Conde de Torrefiel proposent une réflexion sur notre rapport (détérioré) à la réalité. Une œuvre plastique et philosophique qui, tout en proposant un langage théâtral novateur, semble paradoxalement utiliser les outils qu’elle dénonce.
Une salle aux trois quarts pleine seulement pour une première, c’est assez rare au Festival d’Avignon pour ne pas y voir un signe. La compagnie espagnole El Conde de Torrefiel se produit pourtant pour la première fois à Avignon, et ne peut donc y avoir mauvaise réputation. Elle fait partie de ces troupes qui parcourent les grands festivals européens aux commandes d’un théâtre mêlant arts plastiques, chorégraphie, performance, et philosophie puisque cette Imagen interior développe une réflexion théorique sur notre rapport à la réalité. Le genre de spectacle qui peut laisser perplexe comme stimuler la réflexion, tout en floutant ses intentions.
On tentera ici une exégèse sans garantie de ce travail. Le dispositif est dans l’ensemble assez hypnotique, mais, sur certains spectateurs, assez soporifique. Des tableaux comme on dit, et le premier en est un, littéralement, que deux techniciens relèvent comme, au théâtre, on tirerait le rideau. Nous voilà projetés dans un musée d’histoire naturelle face à une peinture datant supposément de la préhistoire, d’il y a 36000 ans. L’œuvre ressemble étrangement à des drippings façon Pollock. Des visiteurs du musée la découvrent, avec ou sans audioguide, s’y confrontent. En front de scène, le texte écrit par Pablo Gisbert défile en français et anglais sur un large écran rectangulaire. Il démarre sur le théâtre comme lieu de construction de fiction, poursuit sa réflexion sur ces signes que nous laisserons au futur de notre civilisation, se faisant petit à petit l’écho des pensées intérieures des personnages qui déambulent dans le musée, qui alternent entre profondeur réflexive et activités prosaïques. Image léchée, univers sonore bourdonnant, le dispositif qui croise l’écrit et l’image est novateur et reflète le titre du spectacle : quand la mise en scène dégage une certaine froideur, une mise à distance via l’image, – et une mise en abyme du travail de spectateur face à l’œuvre –, l’écrit conduit, lui, vers l’univers intérieur.
On ne divulgâchera pas les tableaux suivants d’Una imagen interior. Le dispositif y reste le même tout du long. On peut être largué par la réflexion très théorique, même si l’écriture est incisive et limpide. On traverse un supermarché, puis un rêve. On pense au climat apocalyptique comme à la guerre en Ukraine, et à notre déconnexion de la nature. S’esquisse comme un âge d’or de l’humanité, d’une humanité en prise avec son environnement, avec une réalité dont elle ne tenterait pas de prendre le contrôle à coups d’abstraction et de cadres théoriques et langagiers. A une sorte de bon sauvage, en somme, en forme d’être-là irréfléchi, joyeux et symbiotique à la fois. Comme si le spectacle se terminait en autodafé des outils qu’il emploie – l’abstraction, le raisonnement, les concepts –, le tableau préhistorique se redresse en front de scène comme bouchant tout horizon, tel un écran qui nous priverait dorénavant de cet état originel. Rationalisme exacerbé, images à tout va, prométhéisme échevelé prolifèrent dans nos sociétés. Una imagen interior s’en fait l’écho critique et aussi, en partie, le reflet.
Eric Demey – www.sceneweb.fr
Una imagen interior (Une image intérieure)
Conception El Conde de Torrefiel en collaboration avec les interprètes
Texte Pablo Gisbert
Mise en scène, dramaturgie Tanya Beyeler, Pablo Gisbert
Avec Anaïs Doménech, Carmen Collado, Julian Hackenberg, David Mallols, Gloria March Chulvi, Mauro Molina
Sculpture Mireia Donat Melús
Réalisation robot José Brotons Plà
Machiniste Miguel Pellejero
Scénographie Maria Alejandre, Estel Cristià
Lumière Manoly Rubio García
Son Uriel Ireland, Rebecca Praga
Traduction en français pour le surtitrage Marion Cousin
Traduction en anglais pour le surtitrage Nika BlazerProduction Cielo Drive SL
Coproduction Wiener Festwochen (Vienne), Festival d’Avignon, Kunstenfestivaldesarts (Bruxelles), Centro de Cultura Contemporánea Conde-Duque (Madrid), Grec Festival (Barcelone), Teatro Piemonte Europa / Festival delle Colline Torinesi (Turin), Le Grütli – Centre de production et de diffusion des Arts vivants (Genève), Points communs nouvelle Scène nationale de Cergy-Pontoise Val d’Oise, Festival d’Automne à Paris, La Villette (Paris)
Avec le soutien de l’ICEC Département de la culture de Catalogne, Teatro El Musical (Valence), Centro Párraga (Murcie) et pour la 76e édition du Festival d’Avignon : l’Ambassade d’Espagne à Paris et l’Institut Cervantes de Toulouse
En partenariat avec France Médias MondeDurée : 1h30
Festival d’Avignon 2022
L’Autre Scène du Grand Avignon, Vedène
du 20 au 26 juilletPoints communs, Nouvelle scène nationale de Cergy-Pontoise et du Val d’Oise
les 19 et 20 octobreLa Villette, dans le cadre du Festival d’automne à Paris
du 7 au 10 décembre
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