De Louison à Dorine, en passant par Armande, Arsinoé ou encore Elvire, Anne Kessler porte dans Ex-traits de femmes la parole des personnages féminins de Molière. En cherchant à les présenter comme des déclinaisons d’une même entité, elle adopte un jeu figé qui échoue à exprimer la liberté, la force qu’elle dit leur trouver.
Molière est-il misogyne ou féministe ? Selon les époques, cette question qui ne cesse d’être posée par ceux qui s’intéressent à l’œuvre du dramaturge trouve des réponses différentes. Longtemps, on a par exemple vu dans Les Précieuses ridicules une charge contre le « beau sexe ». Mais ne faut-il pas plutôt voir dans les manières sophistiquées à l’extrême de Magdelon et de sa nièce Cathos une critique ou une moquerie du mouvement social, moral et littéraire de la première moitié du XVIIIème siècle dont elles se veulent membres ? Ou encore le portrait de femmes qui, par le langage et la culture, cherchent à s’émanciper de l’autorité paternelle ? Durant la saison Molière à la Comédie-Française, nombreuses sont les propositions qui ont témoigné de cette tendance à la relecture de l’œuvre à l’aune du mouvement féministe actuel.
Dans leur version des Précieuses par exemple, Stéphane Varupenne et Sébastien Pouderoux faisaient des deux protagonistes centrales non pas des idiotes crédules, mais des femmes dont la recherche d’un style nouveau n’est pas sans faux pas. La comédienne et metteure en scène Anne Kessler tente d’aller plus loin dans Ex-traits de femmes, en traversant l’ensemble de l’œuvre de Molière, dont elle rassemble les grandes partitions féminines dans l’idée d’en montrer les similitudes. D’une œuvre à l’autre selon elle, l’auteur avec lequel elle dit avoir découvert sa vocation théâtrale aurait mis en scène une seule et même entité. Qu’elles soient bourgeoises ou servantes, qu’elles s’élèvent contre leurs pères ou au contraire qu’elles obéissent aveuglément à leurs ordres, qu’elles soient lettrées ou dévotes, chaque femme du répertoire de Molière serait une touche d’un unique portrait, complexe. Seule en scène, c’est cette complexité que l’artiste entrée dans la troupe de la Comédie-Française en 1989 et sociétaire depuis 1994 cherche à rendre sensible sur le plateau penché qu’elle s’est choisi.
Sur sa pente, entre trois murs recouverts d’un bois qui ne donne aucun indice de l’espace-temps où elle a décidé de s’isoler, Anne Kessler n’arrache pas les femmes de Molière à leur époque. Elle ne les y laisse pas non plus. Vêtue d’une robe noire à volants dans laquelle nulle femme d’aujourd’hui ni d’hier n’oserait se promener, l’actrice affiche sans ambiguïté son désir de dé-historiciser la lecture des grandes partitions féminines de Molière qu’elle s’apprête à réaliser, en guère plus d’une heure. On s’attend alors à assister à un dialogue intime entre une figure fictive et la comédienne, dont la passion pour l’auteur du Malade imaginaire s’est nourrie de nombreuses expériences auprès de différents metteurs en scène. Celle qui a incarné Mademoiselle Molière dans L’Impromptu de Versailles pour Jean-Luc Boutté, Frosine dans L’Avare ou encore Angélique pour Catherine Hiegel et Julie dans Monsieur de Pourceaugnac pour Philippe Adrien aurait eu bien des choses à dire de sa fréquentation de toutes ces héroïnes. Elle n’en fait hélas rien.
Si l’on peut deviner à quelque geste, à une intonation la pensée de la comédienne sur les protagonistes successives dont elle porte la parole, il semble que c’est comme malgré elle, comme on laisse échapper un cri là où l’on voudrait feindre l’indifférence. Ex-traits de femmes repose sur la croyance d’Anne Kessler dans la capacité de son montage de textes à tout dire du sujet qui l’intéresse. Le seul enchaînement de la parole de la petite Louison du Malade imaginaire, d’Agnès de L’École des femmes ou encore d’Henriette des Femmes savantes ne suffit pourtant pas à donner une lecture précise du répertoire de Molière, ni à inciter le spectateur à en entreprendre une. Si les transitions souvent floues d’un personnage à l’autre traduisent le désir de l’actrice et metteure en scène de les présenter comme une unité, aucun indice ne nous est donné pour ne serait-ce qu’en cerner les traits. Est-elle douce et naïve comme Agnès, qui ne décèle rien des tentatives de séduction d’Oronte ? Est-elle libre et déterminée comme l’Angélique du Malade imaginaire, qui réussit à échapper à l’un des nombreux mariages imposés qui se trament dans l’œuvre de Molière ?
Le jeu figé, homogène d’Anne Kessler d’un fragment à l’autre de son montage échoue à faire de ces questions les moteurs stimulants d’une quête de sens. Au lieu de faire entrer en friction les femmes si différentes qui peuplent l’œuvre de Molière, Ex-traits de femmes en lisse les contours, les aspérités. Les projections de dessins d’Anne Kessler, qui accompagnent l’ensemble de sa traversée moliéresque, n’ajoutent guère le relief manquant à cette pièce dont la prétention à ouvrir de nouvelles perspectives à l’intérieur d’un terrain connu rend pénible ce qui aurait pu être seulement anecdotique.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Ex-traits de femmes
Conception, interprétation et animation graphique : Anne Kessler
Lumières : Éric DumasDurée : 1 heure
Théâtre 14 – Paris
du 19 au 30 septembre 2023
Mardi, mercredi et vendredi à 20h jeudi à 19h, Samedi à 16h
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