Dans un embouteillage, les derniers arrivés ne sont pas ceux qui redémarrent en premier. Si la crise du Covid n’a pas fondamentalement modifié la situation des artistes qu’on nomme communément « émergents », elle a semble-t-il aggravé leur situation. En témoigne la récente multiplication des initiatives visant à faire entendre leur voix. Le Manifeste des immergé.e.s de la Fédération des pirates paru en 2021 aux Éditions Komos et l’appel du collectif urgence émergence sont cependant plus que les symptômes d’une crise passagère. Ils jettent une lumière crue sur la situation structurelle des jeunes artistes du spectacle vivant et offrent en même temps des solutions très pragmatiques.
Ils sont dans la vingtaine et ont emprunté des chemins de traverse. Pas d’école nationale dans leur C.V. Des conservatoires, le Québec, l’université. Ils ne peuvent profiter des dispositifs d’insertion type Jeune Théâtre National, pas plus que de réseau qu’offrent des parcours plus fléchés. Ils ne sont pas encore rentrés dans les dispositifs de subvention. Certains se disent émergents, d’autres plutôt immérgé.e.s. Le pic de la crise covid passée, ils essayent tous de trouver des interlocuteurs et de développer leurs premiers projets. Comment l’institution théâtrale les accueille-t-elle ? Mal apparemment, ou pas du tout, si l’on en croit Estelle Menu, Gauthier Ployette ou Audrey Robert. Des mails sans réponse. Des procédures d’appels à projets bien difficiles à déchiffrer. Des conditions de subvention inatteignables pour des artistes qui débutent. Et un accès aux infos très limité. « On est comme dans le vide. C’est difficile quand on n’a pas posé le pied sur le premier barreau de l’échelle ». Avec en prime, « un sentiment d’illégitimité qui commence à s’ancrer ».
« En même temps, on est dans le pays qui essaye le plus d’aider ses artistes » avance Gauthier Ployette l’un des fondateurs du collectif urgence émergence, qui est passé par le système à l’anglo-saxonne du Québec. Pas question donc d’ajouter une plainte au chœur pour ces jeunes gens. Mais de souligner les trous dans la raquette d’une institution qui en perd beaucoup en route, pour son propre malheur. « Pas question de leur dire, vous êtes en haut, nous on est en bas, ajoute l’artiste performeur. Mais quand on voit les problèmes de régénération du public dans les salles, il faut qu’ils réalisent que le théâtre a besoin de nous pour se renouveler ».
Comment faire davantage de place aux jeunes ?
Les deux collectifs fourmillent d’idées. Du côté de la Fédération des pirates, Estelle Menu et Audrey Robert évoquent par exemple leur concept de « première partie », basé sur le modèle des concerts. Une pratique qui se développe en Bretagne sous l’impulsion du collectif Déter. L’idée : qu’en première partie d’un spectacle, on offre l’occasion à des jeunes artistes de montrer au public des maquettes de leur travail. Le collectif urgence émergence revendique lui notamment des « temps passerelles » qu’organiseraient les institutions type CDN pour accueillir, écouter, conseiller les jeunes compagnies qui développent leurs projets, pour permettre un premier contact avec l’institution. Avec le CDN de Montreuil, une telle expérience de deux journées devrait voir le jour avant l’été.
Rendre les plateaux de théâtre, de répétition, de résidence accessibles aux jeunes artistes, quand ils sont vacants. Imposer un quota de compagnies jamais programmées dans le réseau des scènes publiques. Créer des collectifs de programmation réunissant professionnels, artistes et public. Les propositions pour ouvrir les fenêtres d’un art qui se plaint régulièrement de son entresoi sont nombreuses et accessibles dans leurs écrits. Et surtout pas forcément coûteuses à mettre en œuvre.
« On nous dit régulièrement qu’il y a trop de monde » poursuit Gauthier Ployette. « Il y a certainement des propositions moins fortes mais aussi des artistes qui n’arrivent pas à montrer leur travail ». « On a intégré qu’on est dans un système hyper concurrentiel, reprend Audrey Robert, mais c’est aussi contre cela qu’on se bat ». Ces jeunes collectifs se concertent donc, cherchent à ce que les jeunes artistes mettent en commun leurs connaissances, leurs expériences, leurs acquis, à développer davantage l’entraide. Car si le Covid a obstrué les canaux de diffusion, il a aussi donné du temps à ces jeunes artistes pour se rencontrer, notamment via les occupations de théâtres auxquelles iels ont activement participé. Des temps de rencontres et d’échanges. On s’en rappelle ? C’est une époque où l’on parlait de faire advenir un monde d’après. Maintenant que l’activité a repris une certaine régularité, n’oublions pas d’écouter celles et ceux qui vont le constituer.
Eric Demey – www.sceneweb.fr
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