Explorant dans chacun de ses spectacles les territoires de la Turakie, le Turak Théâtre déplie dans sa dernière création le parcours de sept sœurs. Entre théâtre d’objets et théâtre gestuel, cet opus cherche encore la route du nonsense et de la poésie.
Au TNP, à Villeurbanne, s’est joué pendant une poignée de jours conjointement deux spectacles – Pinocchio (live) #2 d’Alice Laloy et 7 sœurs de Turakie du Turak théâtre – qui ont donné l’occasion d’appréhender la diversité de la création marionnettique contemporaine. Si, de son côté, Alice Laloy revisite la figure de Pinocchio de Carlo Collodi, ce sont d’autres inspirations qui ont nourri la création du Turak. Pour 7 sœurs de Turakie, Michel Laubu (qui en marchant de la salle vers la scène introduit le spectacle un grand cahier noir dans les mains) nous explique que les personnages que nous allons découvrir se situent entre Les trois Sœurs de Tchekhov et Les sept Samouraïs d’Akira Kurosawa. Soit un balancement entre, nous dit-il, la « loyauté » des premières et la « nostalgie » des seconds. On ne discutera pas ici la réversibilité de ces deux références pour chacun de ces personnages. L’on prendra, plutôt, ces évocations comme le souci d’inscrire le parcours des sept sœurs dans un monde qui n’est plus le leur et auquel il leur faut, pourtant, s’adapter.
Ce changement à l’œuvre nous est signifié par la scénographie : tandis que la scène comporte initialement un drap blanc et des nuisettes suspendues à un fil, une drôle de machine de bois à jardin et un globe terrestre-girouette à cour, les tissus disparaissent pour laisser la place à un écran. Sur celui-ci est projeté un court film d’animation, où l’on voit notamment des figurines de babyfoot prises dans la glace glace en proie à une fonte accélérée. Cette présence du baby foot, de ces figurines de joueurs, va revenir régulièrement au fil du spectacle et à une autre échelle – ces joueurs devenant parfois plus imposants que tous les personnages en scène. C’est d’ailleurs après une partie de babyfoot inaugurale entre les sœurs que nous glissons vers un étrange cabaret. Orchestrée par un Monsieur Loyal (marionnette manipulée par Michel Laubu), cette succession de numéros propose pêle-mêle une danse revisitée du Lac des cygnes, d’autres danses revendiquant leur parentèle avec le folklore balinais, le défilé d’un troupeau de cerfs, etc.
On retrouve dans la facture de ce spectacle ce qui fonde le Turak Théâtre. Car depuis la création de la compagnie en 1985 par Michel Laubu – rejoint par Emili Hufnagel au début des années 2000 à la co-direction de la structure –, l’équipe développe un travail où les marionnettes sont fabriquées à partir d’objets manufacturés, lesdits objets étant sans cesse détournés et réagencés dans de multiples combinaisons. Un bâton de bois flotté devient, par exemple et successivement, la tête et le cou d’une autruche puis la proue d’un bateau. Quant à l’interprétation des interprètes, elle repose sur un jeu majoritairement muet, parfois traversé de gromelots, seul le Mr Loyal s’adressant ici à nous, spectateurs, dans un français intelligible.
Mais si le Turak est réputé pour son univers singulier et son exploration dans chaque spectacle d’une facette de la Turakie, pays qui s’il n’existe pas n’en est pas pour autant pas intéressant (dixit Laubu en introduction) ; si la compagnie revendique une poésie, un humour dont on pressent la parentèle souhaitée avec le nonsense, équilibre subtil entre prosaïsme et merveilleux cher à Lewis Caroll, force est de constater que 7 sœurs de Turakie peine à convaincre. Son écriture dont la logique évoque le « dorica castra » (et dont la forme la plus connue est la comptine enfantine Trois petit chats) manque de finesse et les saynètes s’enchaînent sans que l’on saisisse l’itinéraire ni les motivations des sœurs. La présence de ces dernières se révèle plus un alibi au déploiement des différents tableaux. Quant au texte, les jeux de mots appuyés comme les aphorismes rapprochent plus l’écriture des vers de mirliton que de la poésie carollienne. Cette absence de subtilité se retrouve dans la musique, comme dans l’esthétique générale du spectacle. Si l’on comprend que la compagnie défende un art pauvre, usant de diverses formes, matières, objets usuels, l’ensemble semble désuet. Difficile de ressentir une quelconque poésie ou d’éprouver des émotions. Reste juste le sentiment d’assister à un spectacle qui en dépit de son ambition écologique (avec l’évocation du réchauffement climatique) et de l’énergie de ses interprètes ne dépasse guère la fable potache.
Caroline Châtelet – www.sceneweb.fr
7 Soeurs de Turakie
avec Charly Frénéa, Simon Giroud, Emili Hufnagel en alternance avec Caroline Cybula, Michel Laubu, Patrick Murys
dramaturgie Olivia Burton
répétitrice Caroline Cybula
lumière Pascal Noël
musique Fred Aurier, Pierrick Bacher, Jeanne Crousaud, Frédéric Jouhannet, Cyrille Lacheray, André Minvielle
construction masques, marionnettes et accessoires Michel Laubu
assisté de Emmeline Beaussier, Géraldine Bonneton, Charly Frénéa, Ludovic Micoud Terraud, Yves Perey, Frédéric Soria, Audrey Vermont, avec la participation des techniciens du TNP
costumes Emili Hufnagel
construction des décors les ateliers de la Maison de la Culture de Bourges
régie générale et plateau Charly Frénéa
régie lumière Sébastien Marc
régie son et vidéo Hélène Kieffer
films d’animation Emili Hufnagel, Michel Laubu, Raphaël Licandro, Timothy MarozziSpectacle inscrit dans le cadre du PEAC, Parcours d’éducation artistique et culturelle mis en place par la Ville de Villeurbanne.
production Turak Théâtre
coproduction MC2: Grenoble / Théâtre National Populaire / Maison de la Culture de Bourges / Théâtre du Nord – CDN Lille-Tourcoing Hauts-de-France / Théâtre Molière-Sète – scène nationale Archipel de Thau / Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines – scène nationale / Bonlieu – scène nationale d’Annecy / Théâtre de Bourg-en-Bresse / Château Rouge – scène conventionnée, Annemasse / Théâtre d’Aurillac – scène conventionnée d’intérêt national « Art en territoire »
en partenariat avec la CoPLeR
avec la participation de la SpedidamLe Turak est en convention avec la DRAC Auvergne-Rhône-Alpes – ministère de la Culture, la Région Auvergne-Rhône-Alpes et la Ville de Lyon.
Créé le 9 juin 2021 à la MC2: Grenoble
1er février 2022 / Scène 55, Mougins
8 et 9 mars 2022 / Carré Colonnes, Saint Médard-en-Jalles
17 et 18 mars 2022 / Théâtre de Roanne
Du 30 mars au 2 avril 2022 / Théâtre de Saint Quentin en Yvelines
Du 8 au 16 avril 2022 / Théâtre National Populaire, Villeurbanne
30 septembre 2022 à 20h30 à Scène 55 Mougins
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