A l’Opéra de Rennes, Mathieu Bauer signe du Rake’s progress de Stravinski une version vive et colorée, sans doute trop peu diabolique mais qui séduit par sa jovialité.
Pour sa première mise en scène lyrique, l’homme de théâtre mais aussi musicien Mathieu Bauer s’empare du dernier opéra de Stravinski dont l’intrigue fortement subversive narre l’effondrement d’un héros anodin devenu libertin. Entre classicisme et modernité, l’ouvrage cumule singulièrement les inspirations diverses. Empreint d’italianité comme d’accents mozartiens (avec ses récitatifs accompagnés au clavecin présent sur scène) et des rythmes grisants de comédie musicale, ce petit chef-d’œuvre créé en 1951 est bourré d’anachronismes qui en font une pièce complètement « hors-temps ». Cet aspect composite de la partition flirtant avec le pastiche, volontiers lyrique et pleine de dérision, ce brassage sans complexe de styles musicaux savoureusement bigarrés, sont restitués avec exactitude et gourmandise par la direction de Grant Llewellyn, à la tête de son Orchestre national de Bretagne comme par une allègre et allante distribution de jeunes chanteurs accompagnés du Chœur de chambre Mélisme(s). Sur scène, de jolies trouvailles dont il émane un évident plaisir du jeu, convoquent l’univers du cinéma, de la publicité, du divertissement, de la magie, de la foire. La mise en scène distille plus de légèreté que de gravité.
Mathieu Bauer n’ a évidemment pas ignoré que le livret de The Rake’s progress fut inspiré d’une série de gravures réalisée par le peintre britannique William Hogarth. Ce n’est donc pas sans ingéniosité qu’avec son scénographe, le metteur en scène compartimente et diffracte l’espace pour mieux démultiplier les espaces de jeu qui apparentent à une galerie d’images en mouvements. Des photos et vidéos projetées à la manière de cartes postales au charme rétro un rien cliché animent ces boites empilées et disposées sur deux étages qui s’offrent comme autant de fenêtres ouvertes sur les trépidantes aspirations mais aussi les illusions d’une humanité éprise de liberté et de vitalité dans le contexte de l’après-guerre.
C’est le destin de Tom Rakewell, héros naïf et apparemment insatisfait, qui, après avoir gentiment batifolé avec Anne son épouse dans une ronde de coquelicots, se découvre attiré par la fugue et l’évasion. En suivant Nick Shadow à Londres, il se voit irrésistiblement entraîné dans sa propre chute et conduit à un état de folie annoncé dès un prologue muet où le personnage apparaît en pyjama, se traînant éperdu dans un parterre encore éclairé préfigurant l’asile où il finira ses jours.
La réalisation aurait pu aller beaucoup plus loin dans l’évocation de la déchéance et de la dépravation qui sont au cœur du propos. Les vices et la débauche y occupent toute la place, à commencer par le sexe que l’on trouve fort sage au lupanar de Mother Goose. Il aurait sans doute aussi fallu un tentateur moins sympathique que le chanteur Thomas Tatzl, bonimenteur jovial mais pas véritable diable dont la voix suave et sonore manque quelque peu de noirceur. Les personnages sont dessinés de manière à amuser. Voyez la géniale Baba la Turque à qui Aurore Ugolin prête l’abattage d’une splendide diva de music-hall et des tapis rouges, ou le commissaire priseur de Christopher Lemmings, formidable en artiste de cabaret expressionniste. A l’inverse, au cœur des turpitudes, Anne Trulove et Tom Rakewell, l’une en épouse délaissée et éternellement dévouée, l’autre en gentil rêveur moyennement fonceur, revêtent vocalement et théâtralement une belle candeur angélique et une pure sincérité. La soprane Elsa Benoît déploie une sensibilité qui émeut de bout en bout. Le ténor Julien Behr épatant de juvénilité est finement gagné d’une douce mélancolie qui sied bien au personnage dépravé. Ce spectacle plein de malices ne rompt pas totalement avec une lecture naïve et frivole de l’œuvre et demanderait à être un peu plus débridé.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
The Rake’s Progress
Igor StravinskiGrant Llewellyn : direction musicale (Rémi Durupt le 7 mars)
Mathieu Bauer : Mise en scène
Rémi Durupt : Assistant à la direction musicale
Grégory Voillemet : Assistant à la mise en scène
Chantal de la Coste : Décors
Florent Fouquet : Vidéaste
Lionel Spycher : Lumières
Réalisation des décors : atelier de l’Opéra de RennesAvec
Scott Wilde : Trulove
Elsa Benoit : Anne Trulove
Julien Behr : Tom Rakewell
Thomas Tatzl : Nick Shadow
Alissa Anderson : Mother Goove
Aurore Ugolin : Baba la Turque
Christopher Lemmings : SellemOrchestre National de Bretagne, direction Grant Llewellyn
Chœur de chambre Mélisme(s), direction Gildas Pungier
Durée : 2h40 (avec entracte)
Opéra de Rennes
du 3 au 9 mars 2022Nantes, Théâtre Graslin
du 22 au 30 mars 2022
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