La jeune Jamie et la jeune Dee, l’une Noire, l’autre Blanche, se rencontrent en prison quelque part dans les Etats-Unis des années cinquante. Naît entre elles une amitié passionnée, une complicité amoureuse, une envie de poursuivre la route ensemble. Elles se rêvent en domestiques, s’entraident, répètent fiévreusement leurs rôles de bonnes à tout faire. Quelques années plus tard, elles partagent le même logement sordide. Leurs rêves, si modestes qu’ils aient été, se sont heurtés au mépris de classe et à la ségrégation.
Il y a dans l’oeuvre de Naomi Wallace, certainement aujourd’hui une des plus grandes autrices du théâtre américain, une tonalité singulière. Son théâtre a clairement une dimension de critique sociale fondamentale : il s’agit toujours pour elle de pointer sans relâche les violences, les injustices criantes, qui sont celles de l’Amérique contemporaine ; Et moi et le silence ne fait pas exception à ce souci premier. Naomi Wallace y dénonce la brutalité des rapports de classe, le racisme obsessionnel qui marque encore à maints égards la société américaine.
Mais cette nécessaire dénonciation ne relève pas d’un projet politique par trop sommaire où le slogan et le catéchisme tiendraient lieu de béquille. Dominique Hollier, l’excellente traductrice de Naomi Wallace, écrit ceci : « Naomi Wallace part des corps pour décrire le corps social ». Il y a une tendresse extrême, une empathie constante dans la façon dont l’autrice met en scène Jamie « l’Afro-américaine » et Dee « la Blanche ». Dures au mal, violentes, mais profondément émouvantes dans leur désir encore teinté d’enfance de donner un sens à leur vie, d’échapper à la pauvreté, d’être « quelqu’un » dans un monde où tout les condamne à n’être rien.
Il y a chez Naomi Wallace une attention à la détresse de l’autre, il y a aussi une musique ou une musicalité particulière dans son écriture. On est, dès la première lecture, saisi (et la traduction de Dominique Hollier joue là un grand rôle) par la limpidité de la langue, et dans un même temps, par une sorte de fantaisie, de goût de la cocasserie, un quelque chose qui relève du charme de la comptine enfantine. C’est ce mélange qui fait la grâce, la poésie, de cette œuvre singulière.
En outre notre autrice mêle de façon troublante les temporalités dans lesquelles évoluent ses deux personnages : on passe sans transition des scènes du passé – qui se déroulent en prison – aux scènes du présent, neuf ans plus tard, qui se déroulent « dans une petite chambre presque vide, dans une ville, quelque part aux Etats-Unis ». Mais c’est précisément cette façon d’articuler un indispensable réalisme à une dimension presque onirique et une inquiétude existentielle toujours présente qui donne à ce théâtre un charme si prégnant loin de tout plat naturalisme. C’est aussi ce qui rend l’entreprise de mise en scène particulièrement stimulante.
René Loyon
Et moi et le silence
de Naomi Wallace
traduction Dominique Hollier
avec Sarah Labrin, Morgane Real, Roxanne Roux, Juliette Speck
dramaturgie Laurence Campet
décor Nicolas Sire
lumières Laurent Castaingt
costumes Nathalie Martella
musique Pablo Rapaport
Co-production Compagnie RL / Les Célestins – Théâtre de Lyon / Les Tréteaux de France – Centre dramatique national
Avec l’aide de la DRAC Île-de-France, de la Région Île-de-France, du Jeune théâtre national et de l’ENSAD Montpellier
La pièce AND I AND SILENCE a été créée au Finborough Theatre à Londres le 12 mai 2011 « et « Naomi Wallace est représentée en Europe francophone par Marie Cécile Renauld, MCR Agence Littéraire en accord avec Knight Hall Agency Ltd
Théâtre des Quartiers d’Ivry
du 10 au 14 mai 2023
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