Fruit d’une collaboration au long cours entre artistes de théâtre et scientifiques de l’IFREMER, Donvor nous invite à l’exploration d’un monde méconnu et en danger : celui des grands fonds marins. Le texte de David Wahl et la mise en scène de Thomas Cloarec, directeur artistique du Teatr Piba, font cohabiter la science et la poésie, le mythe, avec une rare délicatesse.
Avec le titre Donvor, le Teatr Piba nous promet un voyage vers une destination inconnue, sauf pour qui en vient, ou en revient. Plus tôt dans l’histoire de cette compagnie qu’il dirige depuis 2009, le metteur en scène Thomas Cloarec a affiché à plusieurs reprises son ancrage dans une culture et une langue minoritaire : avec Eden Bouyabes (2010), Al liorzhour (2012) ou encore Merc’h an eog (2016), le spectateur, même profane, savait dans quelle contrée il s’aventurait. Il s’attendait à entendre parler breton, à recevoir peut-être des récits de cette région, ou liés à elle d’une manière quelconque. « Donvor » a beau être un mot breton, signifiant littéralement « mer profonde », il avance masqué pour qui ne parle pas couramment la langue. Traduisons : pour la grande majorité, surtout au théâtre La Reine Blanche où le spectacle fait en février son escale parisienne. La question de la traduction est d’ailleurs au cœur de cette pièce, exceptionnelle pour le Teatr Piba depuis son processus de création jusqu’à la forme finale.
Si l’on retrouve l’amicale cohabitation du français et du breton qui est l’une marques de fabrique de la compagnie basée à Brest, elle est ici au service d’une autre rencontre, d’un autre mélange qui nécessite lui aussi une forme de traduction. Pour Thomas Cloarec et son équipe, Donvor sort dès ses origines de l’ordinaire en ce que l’idée même du spectacle vient d’ailleurs : de l’IFREMER, l’Institut Français de Recherche pour l’Exploitation de la Mer. Des scientifiques Jozée Sarrazin et Pierre-Marie Sarradin, en particulier, qui tiennent à tisser des relations entre leur spécialité et d’autres univers, notamment artistiques. Donvor est le fruit, bien mûr, non seulement d’un échange entre deux mondes qui ont peu l’habitude de se côtoyer, mais d’une aventure commune. Écrit par David Wahl, déjà familier des fonds marins pour leur avoir consacré l’une de ses « causeries », qu’il décrit comme étant « à mi-chemin entre récit théâtral et relation de voyage extraordinaire », le texte du spectacle témoigne avec finesse et poésie de ce croisement hors du commun des sciences et du théâtre. Si Donvor enseigne, c’est d’abord parce qu’il touche, parce qu’il émerveille.
La capacité de l’écriture à la fois concrète, pointue et onirique de David Wahl à éveiller l’imaginaire agit dès le début du spectacle. Son texte nous parvient par le casque dont chaque spectateur est équipé – c’est sa combinaison de plongée à lui, en quelque sorte –, tandis que salle et plateau sont entièrement dans le noir. Ce silence, cette immobilité qui dure un temps que rien ne nous permet de mesurer, nous fait entrer dans le double voyage raconté et mis en scène par le Teatr Piba : une traversée d’une partie de l’équipe artistique de la compagnie, David Wahl compris, à bord du navire d’exploration Pourquoi-Pas ? sur l’Océan Atlantique en juillet 2017 et une résidence en Colombie-Britannique en septembre de la même année. L’arrivée de la lumière au plateau, révélant les corps des comédiens – Charlotte Heilmann, Karine Dubé-Guillois, Krismenn – dont nous ne connaissions jusque-là que les voix, n’illustre pas davantage les « Environnements profonds » que la sombre introduction du spectacle.
Entre théâtre-récit et fiction radiophonique dont tous les « trucs » nous sont montrés, Donvor nous mène dans la mer profonde par les seuls moyens d’un théâtre très branché sur le son. C’est ainsi qu’il nous permet de toucher au « paradoxe de ce Nouveau Monde » qui, « tout comme l’Atlantide, à peine découvert menace d’être englouti. Ce n’est qu’une question d’années avant que d’immenses engins miniers, grands comme on n’imagine pas, prennent possession de territoires autrefois dévolus à l’obscurité, au silence et à la vie cloîtrée », avertit David Wahl très tôt dans sa narration que se partagent avec bonheur les comédiens, qui en font alors une partition étrange, où singulier est synonyme de pluriel. Tout comme dans les « Environnements profonds » qu’ils décrivent, le fond peut ressembler à un ciel en plein désert. L’entremêlement du français et du breton, l’alternance entre descriptions du travail scientifique à l’œuvre pour évaluer la résistance de la faune des profondeurs et de développements plus métaphoriques qui peuvent par exemple nous faire quitter la mer pour l’espace ou d’autres cieux encore, participent de cette poétique au charme souvent étrange.
L’univers cabaret de curiosité que déploie David Wahl dans ses « causeries » n’est pas loin. Tout en donnant bien à entendre l’urgence écologique qui motive les deux scientifiques cités plus tôt à se rapprocher d’artistes capables de porter leur message au-delà de leur sphère professionnelle, Donvor se nourrit de l’étonnement des artistes pendant leur expédition pour susciter le même état chez ses spectateurs. Comme le dit David Wahl, nous sommes là proches de l’usage courant du mot « donvor », différent de la traduction littérale du terme breton. « Cela fait plus spécifiquement référence à la haute mer ou au large, à l’hauturier. Alors, ce serait peut-être cette profondeur insaisissable de l’horizon du monde, ce ‘’là-bas’’ qui ébranle nos certitudes, cet inaccessible à la clarté sèche du connu ? », explique-t-il. C’est clair, et ça ne l’est pas du tout. Incroyable Donvor.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Donvor
Direction artistique : Thomas Cloarec
Ecriture et dramaturgie : David Wahl
Traduction et adaptation : Tangi Daniel et Gwenola Coic
Assistanat à la mise en scène : Mai Lincoln
Jeu : Charlotte Heilmann, Karine Dubé-Guillois, Krismenn et Gwenole Peaudecerf
Scénographie : Nadège Renard
Création lumière : Stéphane Le Bel
Création sonore : Élodie Fiat, Philippe Ollivier, Pablo Salaün et Gwenole Peaudecerf
Collaboration : Pierre-Marie Sarradin et Jozée Sarrazin
Production : Tony Foricheur
Une collaboration Teatr Piba — IFREMER. Co-production Le Quartz — Scène nationale de Brest ; La Maison du Théâtre – Brest ; Océanopolis — Brest ; Festival Kann Al Loar ; Coopération 2018 Itinéraires d’artiste(s) — Nantes/Rennes/Brest ; Les Fabriques — Ville de Nantes ; Au bout du plongeoir — Rennes métropole ; La Chapelle Dérézo — Ville de Brest
En partenariat avec Ifremer — Laboratoire Environnements Profonds ; Ocean Networks Canada Université de Victoria — Colombie-Britanique
Avec le soutien de Région Bretagne ; Convention Institut Français — Région Bretagne ; Conseil Départemental du Finistère ; Ville de Brest ; Ministère de la Culture — DGLFLF — DRAC Bretagne ; SPEDIDAM ; ADAMI ; Laboratoire d’Excellence LABEXMER ; Consulat de France à Vancouver ; Crédit Coopératif
La série de représentations de la Reine Blanche bénéficie du soutien financier de Spectacle vivant en Bretagne
Durée : 1h15
La Reine Blanche – Paris
Du 2 au 13 février 2022Espace Avel Vor – Plougastel Daoulas
Le 5 mars 2022L’Arthémuse – Briec
Le 11 mars 2022Le Dôme – Saint-Avé
Le 17 mars 2022Le Carré – Scène nationale de Château Gontier
Le 24 mars 2022Brecey, Saison culturelle de la communauté de la commune du Mont-Saint-Michel
Le 5 mai 2022
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