Binôme de Vimala Pons dans Grande, le fameux spectacle hybride, à mi chemin entre le cirque, le cabaret, la performance et le concert qui a propulsé le duo au degré maximal du capital sympathie et de l’admiration partagée, Tsirihaka Harrivel revient à la scène avec un spectacle en solo, une forme ovni à nouveau, qui décompose en musique la chute imprévue subie lors de la représentation du 4 octobre 2017. Et renverse le trauma en matière à créer.
Pourquoi faire les choses à l’endroit quand on peut les faire à l’envers ? La Dimension d’après succède à sa bande son, La Dimension, deuxième album de Tsirihaka, artiste touche-à-tout par excellence. Une bande originale préexistante au spectacle, ce n’est pas banal. D’autant plus que l’album en question est surprenant de bout en bout, étrange, inclassable, hypnotique. Il entremêle, en une dizaine de titres éclectiques, récits enchâssés, mélodies mélancoliques, voix déformée, nappes psychédéliques et beats électro. Il y est question d’un homme qui tombe, tiens tiens…
En revenant sur cette chute vertigineuse inopinée – le jean auquel il s’accrochait en s’élevant dans les airs a craqué à la 28ème minute de son précédent spectacle, Grande, co-créé avec Vimala Pons, Tsirihaka conjure le sort et la bascule de cet événement sans précédent, de ceux qui marquent une vie d’un avant et d’un après indélébile. Cette chute, il la séquence en dix étapes salutaires, décortiquant les différents degrés de conscience et pensées traversés à la vitesse de l’éclair dans ce laps de temps où son corps tombait. Ce faisant, il rend grâce à la vertu initiatique de cette expérience. Un coup du sort qu’il transforme en coup de théâtre et démultiplie en une multitude de coups sonores qui scandent le rythme de cette performance musicale bruitiste et électro, empruntant aux corps burlesques du cinéma muet son humour “slapstick”. Car si vous espérez quelque exploit circassien, passez votre chemin, Tsirihaka n’est pas sur scène ici pour nous en mettre plein la vue, nous éblouir de ses capacités physiques phénoménales, de sa technique solide et pointue, non. Il tire sa révérence aux défis du genre. Il n’est pas là où on l’attend et en joue assurément. La Dimension d’après remet les pendules à l’heure, il est le spectacle de la reconstruction, du recouvrement de soi, la réappropriation de sa capacité à créer. Il est le retour en boucle sur ce point de rupture répété à l’infini, il enquête sur le dédale intérieur où notre homme a été propulsé, il est la recherche de la suite, il traque la sortie de l’engrenage.
Pour ce faire, Tsirihaka a imaginé un dispositif actif, un décor sonorisé partenaire de jeu, une installation percussive géante, avec portes qui claquent, objets animés et boutons à presser. Toute une mécanique orchestrale à la fois artisanale et hautement technologique qu’il actionne en monsieur loyal littéralement habité par sa partition, rythmée et atmosphérique. La performance scénique dans laquelle il s’engage est totalement atypique, de facture inédite, une forme hybride entre concert bruitiste en cage, replié sur son écrin-même, sur son ici et maintenant en direct, et film projeté, fenêtre ouverte sur un autre espace temporel, labyrinthique et énigmatique, où notre héros déchu atterrit avant de se lancer à la poursuite d’une sortie incarnée par Vimala Pons, issue possible à son enfermement. Le mouvement de la chute se transmet à l’écran qui sans arrêt descend, mu par une force gravitationnelle irrésistible. Tout semble connecté à tout et Tsirihaka au milieu de tout ça semble aussi agi qu’actif. Dans l’œil du cyclone, revivant la scène à l’infini, il rassemble tout son être pour retrouver sa verticalité, son endroit, son autonomie.
Littéralement renversé par sa chute, Tsirihaka inverse la situation, il n’en fait pas un drame ni un échec mais bien le tremplin de son renouveau, le matériau de sa réflexion, la glaise de cette création déroutante et magnétique. Ce mouvement descendant, cet à pic fulgurant, il l’ausculte sous toutes ses coutures, le découd, le déconstruit pour mieux envisager le vertige existentiel qu’il contient, en soupeser la portée et l’enjeu narratif. Et chorégraphier, par ses déplacements, l’insensé de l’événement. N’imaginez pas tout comprendre à ce solo entêtant, laissez vous entraîner dans ses méandres, acceptez de vous perdre, c’est la condition sine qua non pour en goûter la substance poétique. Indiscutablement unique.
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
La Dimension d’après
conception, réalisation : Tsirihaka Harrivel
collaboration à l’écriture : Vimala Pons
mise au point du dispositif Son et Lumière : Thomas Laigle
régie son : Thomas Laigle, Enzo Bodo
costumes et accessoires : Marie-Benoîte Fertin
montage et animation des vidéos : Théo Audoire
mise au point de l’implantation Lumière : Sylvain Verdet
collaboration à la musique : Pierre Desprats
régie générale : Charlotte Fégelé, Émilie Braun
constructions : Mathieu Delangle, Michaël Leblond et Ateliers Nanterre-Amandiers, CDN (Jérôme Chrétien, Élodie Dauguet, Ivan Assaël)
chef opérateur des vidéos : Sylvain Verdet
cheffe décoratrice des vidéos : Pascale Consigny
décor et accessoires des vidéos : Marie-Benoite Fertin, Clothilde Baste, Emmanuel Laffeach, Thomas Laporte
préparation tournage : Jeanne Privat, Élise Lahouassa, Frédérique Devilllez
chargée de production et diffusion : Prune Allain-Bonsergent
production et diffusion saison 1 : Adeline Ferrante
administration de compagnie : Alice CouzelasCo-productions
Théâtre de Nanterre-Amandiers, CDN — 2 Pôles Cirque en Normandie • La Brèche, Cherbourg • Cirque Théâtre, Elbeuf — Le CENTQUATRE-Paris — Les Halles de Schaerbeek (Belgique) — La Coursive, Scène Nationale de La Rochelle — Malraux, Scène nationale Chambéry – Savoie — La Soufflerie, Rezé
soutien pour les résidence : Le Bunker, Ljubljana (Slovénie)Aides
Ministère de la Culture, Direction Générale de la Création Artistique — I-Portunus, programme Europe créative de l’Union européenne — Direction Régionale des Affaires Culturelles d’Ile de France — CNC DICRéAM — Action financée par la Région Île-de-France
production déléguée : Victoire ChoseDurée: 1h
2,3 février 2022, CHAMBÉRY, Malraux
du 8 au 20 février 2022, PARIS, Le Centquatre-Paris, festival Les Singulier·e·s
30 mars 2022, REZÉ, La Soufflerie
5 avril 2022, LILLE, Le Prato
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !