Avec The Love Behind My Eyes, donné pour quelques dates au Théâtre de la Bastille, le danseur, chorégraphe et metteur en scène se livre à un puissant corps à corps aussi sensuel que tragique.
Alors que la guerre et la crise s’éternisent au Liban, le chorégraphe libanais Ali Chahrour consacre à l’amour sous toutes ses facettes une nouvelle trilogie dont The Love Behind My Eyes constitue le dernier volet. Depuis ses premières pièces au début des années 2010, l’artiste défend une danse et un discours qui, sans démonstration ni compromission, se font l’écho de la situation politique, religieuse et culturelle de son pays. Il propose ici une pièce courte, aussi posée que fulgurante, inspirée d’une légende arabe du IXe siècle relatant l’histoire tragique du mufti Mohamed Ben Daoud, mort le cœur brisé de n’avoir pu pleinement vivre sa passion amoureuse pour son jeune amant Ben Jomea. Le mythe n’est pas explicitement raconté, mais juste évoqué, notamment à travers l’utilisation d’un voile noir déposé sur le visage d’un interprète, qui renvoie à l’un de ses épisodes.
Avec pour partenaire Chadi Aoun, qui apparaît en fond de scène allongé sur un praticable évoquant un autel sacré autant que la stèle mortuaire d’un amour sacrifié, Ali Chahrour explore sans aucun tapage, sans aucun scandale, mais avec un geste épris de beaucoup de tendresse et d’une beauté à la fois sculpturale et organique, la question d’une relation amoureuse défendue entre deux hommes. Plongés dans une obscurité ténébreuse qu’irradient de fins rais de lumière rasante et caressante, les corps, semi-dénudés, tout en torsions et en tensions, ne cesseront de se chercher, se rencontrer, s’entrelacer, se bousculer. Leur longue et subjuguante étreinte donne à voir l’inextinguible attraction de l’autre, le désir fou et irrépressible de s’abandonner à lui. Ils se touchent, s’empoignent, s’enserrent, dans un mouvement lent, délicat, fortement ritualisé, empreint d’un érotisme qui se colore aussi d’une tonalité sépulcrale.
Troisième figure sur le plateau, Leila Chahrour inaugure la pièce dont elle se fera le témoin discret et indispensable depuis la salle comme sur la scène. En entonnant de sa voix rocailleuse un hymne religieux traditionnel arabe chanté lors des commémorations de la Passion, elle exprime la lamentation poignante d’une mère endeuillée. Ses Wa Habibi (Ô mon bien aimé), repris comme un leitmotiv, s’apparentent à un émouvant cri du cœur. Sous son regard, les deux danseurs créent l’image doloriste d’une pietà érigeant les amants qu’ils représentent en martyrs sacrifiés. Aucun mot n’irrigue cette pièce créée à Beyrouth en 2020. Seuls les corps lascifs et aiguisés des interprètes profondément concentrés, habités, dansant souvent les yeux fermés, permettent de faire se déployer une gamme d’émotions mariant autant de force que de fragilité pour finalement laisser s’épancher toute la puissance de l’amour, la violence de la perte et la tristesse du deuil.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
The Love Behind My Eyes
Mise en scène et chorégraphie Ali Chahrour
Avec Leila Chahrour, Chadi Aoun, Ali Chahrour
Musique Abed Kobeissy
Conception lumière, scénographie et direction technique Guillaume Tesson
Rédactrice Isabelle Aoun
Traduction en français Hoda JaffalProduction Ali Chahrour
Coproduction Kunstfest Weimar ; Hammana Artist House ; Houna Center ; Culture Resource ; Festival Les Rencontres à l’Échelle – Marseille ; Art Jameel
Avec le soutien de Wallonie-Bruxelles InternationalDurée : 50 minutes
Théâtre de la Bastille, Paris
du 5 au 8 novembre 2024
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